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La figure de l’ancien dictateur qui a dirigé l’Union soviétique de 1924 à 1953 demeure à nos yeux d’Occidentaux, étonnamment populaire, malgré les atrocités et la répression brutale qui ont marqué son régime. Ainsi, selon un sondage de 2019 du Levada Center, 70% des Russes approuvent Joseph Staline, jugeant donc son rôle en Russie positivement. J’ai tenté de recenser les différentes explications possibles à ce phénomène et j’en compte au moins sept qu’il me faut détailler.

1. Nostalgie de la grandeur soviétique

La période post-soviétique à partir de 1992 a été marquée par un effondrement économique et une grave crise sociale, engendrant une nostalgie pour la grandeur de la Russie communiste, à l'époque 2ème puissance mondiale, derrière les Etats-Unis d'Amérique.

 

« À l'époque de Staline, nous étions respectés dans le monde entier », reflète cette nostalgie pour une époque de puissance et de respect international.

 

Staline est également crédité de l'industrialisation rapide de l'URSS. La transformation de l'Union soviétique en une puissance industrielle de premier plan à partir des années 1930 est souvent citée comme une justification de ses méthodes, malgré les coûts humains.

« Staline a transformé un pays agraire en une puissance industrielle capable de vaincre le nazisme », illustre cette perspective.

2. Perception d'ordre et d'autorité

« Sous Staline, il y avait de l'ordre » est une phrase souvent entendue, reflétant une préférence pour la stabilité autoritaire face à l'incertitude économique et politique.

3. Résilience face à l'adversité

Staline est perçu comme un leader résilient qui a guidé l'URSS à travers des périodes difficiles, valorisant la détermination et la capacité à surmonter les épreuves.

4. La Victoire dans la Seconde Guerre mondiale

L'association de Staline à la victoire sur l'Allemagne nazie est un facteur clé de sa popularité. Les commémorations de la Victoire du 9 mai en Russie glorifient régulièrement le rôle de l'URSS et, par extension, celui de Staline.

 

« La Grande Victoire reste dans nos cœurs », affirme une bannière lors du défilé de la Victoire à Moscou, soulignant l'importance nationale de cet événement.

5. Manque de déstalinisation

Le manque de déstalinisation en Russie est palpable. Contrairement à l'Allemagne, qui a confronté son passé nazi, la Russie n'a pas procédé à une critique approfondie du stalinisme. Ce silence historique permet à une vision positive de Staline de perdurer, faute de confrontation publique avec les aspects les plus sombres de son régime.

6. Réhabilitation partielle sous Poutine

En février 195, à l'occasion du XXe congrès du Parti, Nikita Khrouchtchev qui a succédé à Staline, dénonce les crimes commis et le culte de la personnalité, sous le règne précédent. En 1961 le corps de Staline, embaumé et exposé à côté de Vladimir Lénine est retiré du Mausolée. Depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, non seulement il n'y a pas eu de volonté politique de procéder à une déstalinisation plus complète, mais la figure de Staline a même été partiellement remise à l'honneur, notamment par la mise en avant de son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale.

 

Poutine lui-même a déclaré, lors d'un discours commémoratif, que « sans l'efficacité de ce commandement [de Staline], sans son rôle dans la victoire, il serait difficile d'imaginer ce que serait devenu notre monde » (RT, 2020). Cette réhabilitation s'inscrit dans un contexte de recherche de fierté nationale, où les victoires du passé sont exaltées.

7. Contrôle de l'histoire

Le gouvernement russe contrôle la narrative historique, souvent en faveur de Staline. Les manuels scolaires mettent en avant ses réalisations industrielles et militaires, minimisant les purges et répressions. Ce contrôle de l'histoire est un outil puissant pour modeler la perception publique de Staline.

Mon regard critique par rapport à la situation
La nostalgie de la grandeur soviétique et l’héritage de Staline

1. Une lecture sélective de l’histoire

La nostalgie de la grandeur soviétique est une lecture sélective de l’histoire. Les réalisations industrielles et la réputation internationale de l’URSS sous Staline ont été bâties sur la souffrance de millions de personnes victimes du travail forcé, de la famine et de la répression politique.

2. Ordre, autorité et libertés

La perception de l’ordre et de l’autorité de celui qui a été nommé « le petit père des peuples » est obtenue au prix d’absences de libertés individuelles. Elles sont pourtant à mes yeux le socle de la dignité humaine, permettant la réalisation personnelle et collective. Elles sont notamment cruciales pour l’innovation et le progrès, car elles encouragent la pensée critique et la diversité des idées. Par ailleurs, sous Staline, l’ordre était maintenu par la terreur et la répression, le NKVD (police secrète) et le système des goulags inspirant la peur plutôt qu’une véritable stabilité.

3. Résilience et brutalité

Si la résilience face à l’adversité est admirable, il est essentiel de s’interroger sur les moyens utilisés pour surmonter ces défis. Les méthodes brutales de gouvernance et le mépris de la vie de plusieurs dizaines de millions de personnes sous le règne de Staline ne peuvent pas être éclipsés par ce qui est perçu comme de la résilience.

4. La victoire de la Seconde Guerre mondiale

La victoire lors de la Seconde Guerre mondiale est un sujet complexe. Si le rôle de l’URSS dans la défaite du nazisme est indéniable, l’attribution de ce succès au seul leadership de Staline ignore non seulement les sacrifices du peuple soviétique mais aussi les efforts des Alliés.

5. L’absence de déstalinisation

L’absence de déstalinisation en Russie est un problème important. L’absence de dialogue critique avec le passé conduit inévitablement à un récit historique unilatéral qui néglige les aspects très négatifs du régime de Staline. En Occident, le stalinisme est comparé au nazisme de Hitler en Allemagne (voir notamment les travaux de Hannah Arendt).

6. Réhabilitation partielle

Toute réhabilitation partielle de Staline sous l’administration de Poutine n’équivaut pas à une compréhension globale du rôle historique de Staline. Mettre en avant certains aspects de son leadership tout en minimisant les mesures répressives qu’il a employées donne une image terriblement biaisée de son héritage.

7. Contrôle de la narration et intégrité

Le contrôle de la narration historique est en effet un outil puissant, mais il soulève des questions quant à l’intégrité académique et au droit des personnes à accéder à des informations impartiales. La vérité historique et la responsabilité morale sont donc lésées.

La mémoire historique devrait servir d’outil d’apprentissage et garantir que de tels événements ne se reproduisent pas, plutôt que d’être un moyen d’entretenir une nostalgie sélective.

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