Portrait de Roméo Mivekannin : L’artiste qui repeint l’histoire et convoque les ombres du passé

Romeo MIVEKANNIN
Roméo Mivekannin : L’artiste qui repeint l’histoire et convoque les ombres du passé

Ah, Roméo Mivekannin ! Son nom résonne comme un écho venu d’ailleurs, une mélodie tissée de mémoire et de ruptures, un battement de tambour dans l’histoire silencieuse des invisibles. Voila un artiste qui, tel un archéologue des âmes, exhume les fantômes du passé pour les habiller de peinture et de lumière. Un passeur de mémoire, un alchimiste de l’image qui, à la manière d’un Jean-Michel Basquiat hanté par les écrits de Frantz Fanon, interroge la représentation du corps noir dans l’imaginaire occidental.

Mivekannin, c’est une rencontre explosive entre la tradition et la révolte, entre la matière brute et le raffinement pictural. Il ne se contente pas de représenter, il subvertit, détourne, renverse. Son œuvre est une insurrection silencieuse, une réécriture de l’histoire en pigments et en textures, où les dominés reprennent place au centre du tableau.

Une double influence culturelle

Roméo Mivekannin est né en 1986 à Bouaké, en Côte d’Ivoire. De nationalité béninoise par ses parents, il partage aujourd’hui sa vie entre Toulouse, en France, et Cotonou, au Bénin. Son parcours académique témoigne d’une formation pluridisciplinaire qui nourrit profondément sa démarche artistique. Après une formation initiale en ébénisterie, il poursuit des études d’histoire de l’art, avant d’intégrer l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse, où il obtient son diplôme en 2015. Il prolonge ensuite son travail académique avec un doctorat en études sur la photographie et l’Afrique postcoloniale, à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier.

Cette double culture, entre Afrique et Europe, entre pratiques artisanales et recherches académiques, façonne son regard et alimente la tension entre tradition et modernité qui caractérise son travail.

Son arrivée en France en 2004 marque un tournant dans sa perception du monde. Dans un pays où la question raciale reste un sujet sensible, il prend conscience du poids de son héritage et de la manière dont son identité est perçue. Cette confrontation avec une nouvelle réalité sociale et historique va profondément influencer son approche artistique.

Un peintre qui se met en scène, mais pas n’importe comment

Roméo Mivekannin possède ce talent rare de se glisser dans la peau des autres tout en nous confrontant à notre propre regard sur le passé. À première vue, on pourrait croire qu’il ne peint que son propre visage – une obsession narcissique ? Loin de là. Il s’infiltre dans les images d’archives coloniales, revisitant ces photographies sépia où des figures noires, réduites au rang de décors ou de trophées exotiques, subissaient l’écrasante présence des colons blancs. Mais dans ses toiles, un glissement s’opère : le regard du sujet change, son statut aussi.

Dans un geste de détournement radical, il remplace ces visages anonymes par le sien. Il incarne à la fois les oppresseurs et les opprimés, brouillant les frontières, interrogeant la construction même du pouvoir et du regard. Qui détient la mémoire ? Qui écrit l’histoire ? En un coup de pinceau, il inverse la logique coloniale, recompose le récit, force le spectateur à une confrontation avec les représentations du passé.

Une de ses œuvres les plus emblématiques de cette démarche est « Esclave à vendre, d’après J.-L. Gérôme », qui revisite une peinture du XIXe siècle en remplaçant la figure originelle par son propre visage, interrogeant ainsi les systèmes de domination visuelle.

Une démarche ancrée dans un héritage royal et une quête personnelle

Mivekannin ne se contente pas de peindre l’histoire des autres, il puise également dans son propre héritage familial. Il est l’arrière-arrière-petit-fils de Béhanzin, le dernier roi du Dahomey (actuel Bénin), exilé par les Français en 1894. Ce lien direct avec une figure emblématique de la résistance africaine à la colonisation confère à son travail une dimension intime et politique, entre mémoire transmise et réappropriation de l’histoire officielle.

Cette dynamique se retrouve dans sa série « Béhanzin », où il revisite des photographies d’archives documentant l’exil de son ancêtre, opérant un travail de dignification et de réinscription dans la grande histoire.

Parmi ces œuvres, « Béhanzin, ses trois femmes debout, ses trois filles » illustre particulièrement bien cette tension entre oppression et réhabilitation. L’artiste choisit de représenter son ancêtre non pas dans sa gloire passée, mais dans l’exil et la souffrance, révélant une facette moins héroïque mais plus humaine de l’histoire.

Cette série s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la restitution des trésors pillés du Dahomey par la France. Pour Mivekannin, le retour de ces artefacts au Bénin en 2021 marque une réparation historique, bien qu’incomplète. Son travail, en parallèle, explore la manière dont cette histoire familiale continue d’influencer son identité.

Une technique picturale singulière : entre rituel et effraction

Le travail de Mivekannin ne se limite pas à la peinture sur toile. Il choisit des draps usagés, qu’il immerge dans des bains de décoctions inspirées des rituels vaudou, avant d’y appliquer son acrylique. Ce processus donne à ses œuvres une charge spirituelle et mémorielle, les reliant à une histoire plus vaste que la seule relecture coloniale.

L’œuvre « The Walking Man » illustre cette dimension : inspirée de Muybridge, elle explore le mouvement et la question de la migration, ancrant son travail dans une réflexion contemporaine sur le déplacement et l’exil.

Dans la même lignée, « L’homme qui marche sous le poids de l’histoire » matérialise l’idée du fardeau mémoriel en figurant une silhouette errante, dont les contours semblent imprégnés des récits du passé.

Un artiste reconnu sur la scène internationale

L’œuvre de Mivekannin bénéficie aujourd’hui d’une reconnaissance institutionnelle grandissante. Il est représenté par la Galerie Cécile Fakhoury (Abidjan, Dakar, Paris) et la Galerie Eric Dupont à Paris. Ses œuvres ont été exposées dans des institutions majeures, dont le Louvre-Lens, où son travail a été mis en avant dans l’exposition « L’Envers du Temps ».

Il a également marqué les foires d’art internationales, comme 1-54 Paris chez Christie’s et Paris + par Art Basel.

Cette reconnaissance témoigne de l’importance croissante de son travail dans les discussions contemporaines sur la mémoire coloniale et la réappropriation des images historiques.

Les débats autour de son travail

Si Roméo Mivekannin est unanimement reconnu comme une figure majeure de l’art contemporain africain, sa démarche suscite également des interrogations. Son usage systématique de l’autoportrait pour revisiter des œuvres classiques a été perçu par certains critiques comme un procédé répétitif, pouvant risquer de réduire la complexité des œuvres originales à un simple geste de réappropriation.

Dans certains contextes, notamment en Europe, son travail a été salué comme une réhabilitation nécessaire des figures noires dans l’histoire de l’art. Cependant, ailleurs, certaines voix pointent une instrumentalisation du passé et questionnent jusqu’où doit aller l’appropriation sans verser dans la simplification des récits historiques.

Cette diversité de perceptions enrichit le débat autour de son œuvre et souligne son impact culturel profond, qui va bien au-delà du cadre strictement esthétique

Un artiste à suivre, à contempler, à débattre

Roméo Mivekannin est pour moi un architecte de la mémoire, un sculpteur d’images, un poète du visible et de l’invisible. Il répare les oublis, questionne les certitudes, dérange les regards figés.

Alors, si vous croisez une de ses œuvres, arrêtez-vous. Observez. Questionnez. Parce qu’avec Mivekannin, l’art n’est pas qu’un plaisir esthétique : c’est une expérience, un trouble, une nécessité.

Chronologie

1986 janvier 01 –

Naissance de Roméo Mivekannin à Bouaké, Côte d’Ivoire. Ses parents étant béninois, cela lui confère automatiquement la nationalité béninoise par le droit du sang. 

2004 septembre – Éducation et arrivée en France :

Arrivée en France pour poursuivre ses études secondaires. Confrontation aux réalités raciales en France qui influenceront son travail.

2010 juin – Premiers pas artistiques :

Expérimente la sculpture avant de se tourner vers la peinture.

2015 juillet – Diplôme en Architecture :

Obtient son diplôme à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse, ce qui influence sa vision spatiale et architecturale dans son œuvre.

2019 avril – Influence majeure :

Visite de l’exposition « Le modèle noir » au Musée d’Orsay, déclenchant son exploration des figures noires dans l’histoire de l’art.

2020 octobre – Première exposition majeure :

Exposition « Peaux noires, masques blancs » à la Galerie Eric Dupont, Paris. Premier jalon d’une reconnaissance institutionnelle importante.

2021 janvier – Percée internationale :

Participation à la foire 1-54 Paris chez Christie’s. Intégration dans le marché de l’art contemporain africain.

2021 juin – Création d’une œuvre emblématique :

Conçoit « Béhanzin, ses trois femmes debout, ses trois filles », une pièce majeure explorant son héritage royal.

2021 novembre – Restitution historique :

La France restitue 26 trésors du Dahomey au Bénin, événement résonnant profondément dans sa démarche artistique.

2022 mai – Réinterprétation d’un chef-d’œuvre :

Présente « Le Radeau de la Méduse, d’après Théodore Géricault », une œuvre revisitant le tableau iconique sous un prisme postcolonial.

2023 septembre – Intégration aux collections muséales :

Ses œuvres rejoignent plusieurs collections prestigieuses en Europe et en Afrique, confirmant son impact dans l’art contemporain.

2024 février – Exposition au Louvre-Lens :

« L’Envers du Temps » expose son travail aux côtés de grandes figures de l’histoire de l’art, consacrant sa reconnaissance institutionnelle.


En savoir plus sur SAPERE

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Laisser un commentaire

Retour en haut

En savoir plus sur SAPERE

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture