Lord Herbert Kitchener. Ce nom évoque le crépitement des canons, le sable du Soudan, les flammes de la guerre, mais aussi l’ombre des controverses. Comment résumer un tel homme en quelques lignes, quand chacune de ses actions semble hurler sa propre légende ?
Né en 1850, ce fils d’officier anglais allait devenir le bras armé de l’Empire britannique, façonnant à la fois son destin et celui de millions d’autres. De ses campagnes africaines à la Grande Guerre, Kitchener incarne autant l’ambition coloniale que la brutalité des moyens utilisés pour l’assouvir.
Le Soudan, ou l’art de la victoire totale
C’est au Soudan que Kitchener se fait un nom, écrivant l’histoire avec le sang des révoltés. À la fin du XIXe siècle, la révolte mahdiste met en péril la domination britannique dans la région. Kitchener, lui, entre en scène comme un maître du massacre. De 1896 à 1899, il écrase les forces soudanaises avec une brutalité méthodique, atteignant son apogée à la bataille d’Omdurman en 1898. Là, les fusils et les mitrailleuses britanniques pulvérisent des milliers de soldats adverses en quelques heures. Mais Kitchener ne s’arrête pas là : après la victoire, il ordonne l’ouverture de la tombe du Mahdi, retirant son crâne en guise de trophée. Cet acte de profanation choque profondément, même au sein de l’opinion publique britannique. Et pourtant, il en ressort glorifié, « Lord Kitchener of Khartoum », symbole d’une victoire impitoyable.
Les Boers, et l’art de la guerre totale
Mais le Soudan n’était qu’une répétition. En Afrique du Sud, Kitchener change de scène, mais pas de méthode. En 1900, il prend la tête des forces britanniques pendant la Seconde Guerre des Boers, une guerre où il doit affronter des ennemis invisibles, des combattants dans l’ombre, des guérilleros insaisissables. Sa réponse ? Détruire pour régner. Kitchener ordonne la destruction des fermes boers et met en place un système de camps de concentration. Plus de 28,000 civils, surtout des femmes et des enfants, meurent dans ces camps insalubres, frappés par la famine et la maladie. Mais la population noire civile est aussi parquée dans d’autres camps. Sur plus de 115,000 touchées, 20,000 décèderont.. En d’autres termes, Kitchener fait ce qu’il a toujours fait : il gagne, mais à quel prix ? Les générations futures ne pardonneront jamais complètement ces méthodes, marquant son nom d’une tache indélébile. Dans son pays, pourtant, il sera couvert de titres et deviendra même en août 1914, secrétaire d’Etat à la Guerre.
La Grande Guerre, et l’art de la prophétie funeste
Puis vint l’apocalypse européenne : la Première Guerre mondiale. Alors que d’autres se bercent encore d’illusions sur la rapidité du conflit, Kitchener, visionnaire ou cynique, voit l’enfer venir. Nommé secrétaire d’État à la Guerre en 1914, il est l’une des rares figures à anticiper la durée interminable de cette guerre. Kitchener comprend immédiatement que ce ne sera pas une bataille éclaire, mais bien un conflit de longue haleine qui réclamera des millions de soldats. Son visage devient celui du recrutement, avec cette affiche iconique où il pointe le doigt et lance un ordre sans appel : « Your country needs YOU ». Sous son impulsion, une armée colossale est levée, mais tout ne se passe pas selon ses plans. Sa gestion de la guerre est ternie par le désastre de la campagne des Dardanelles, un fiasco qui coûte la vie à des milliers de soldats alliés et entame gravement sa réputation. Ce visionnaire implacable, capable de lire l’avenir de la guerre, reste pourtant incapable de naviguer à travers tous ses écueils.
Une fin dramatique et un héritage ambivalent
Kitchener n’aura pas le temps d’assister à l’issue de cette guerre qu’il avait si bien prédit. En 1916, il embarque à bord du HMS Hampshire pour une mission diplomatique en Russie. Le navire explose après avoir heurté une mine au large des Orcades, emportant avec lui ce géant militaire. Sa mort est un coup de tonnerre pour l’opinion publique britannique, qui voit en lui une figure quasi mythique. Mais que reste-t-il vraiment de Kitchener ? Une réputation de conquérant implacable, certes, mais aussi celle d’un homme dont les victoires laissent dans leur sillage des questions plus lourdes que les trophées qu’il en a tirés.
Lord Kitchener, c’est l’incarnation des paradoxes de l’Empire : à la fois vénéré et haï, il est un héros qui, comme l’Histoire elle-même, porte autant la lumière que les ténèbres.
Chronologie
1850 juin 24 – Naissance de Herbert Kitchener à Ballylongford, en Irlande.
1871 janvier 4 – Kitchener intègre l’Académie royale militaire de Woolwich pour se former comme officier.
1874 avril – Affectation de Kitchener en Palestine pour des missions de cartographie avec la Palestine Exploration Fund.
1882 septembre 13 – Kitchener participe à la bataille de Tel el-Kebir en Égypte, marquant le début de sa carrière en Afrique.
Kitchener se distingue par ses compétences en stratégie et en commandement militaire, consolidant ainsi sa réputation au sein de l’armée britannique.
1884 septembre 5 – Nommé lieutenant-colonel pendant l’expédition du Nil pour tenter de secourir le général Gordon à Khartoum, sans succès.
L’échec de l’expédition pour sauver Gordon à Khartoum ne ternit pas la carrière de Kitchener, qui demeure un acteur clé de la politique coloniale britannique en Afrique.
1892 avril 12 – Kitchener devient sirdar (commandant en chef) de l’armée égyptienne, renforçant ainsi sa position au sein de l’administration coloniale britannique.
1896 mars 12 – Début de la campagne du Soudan dirigée par Kitchener pour réprimer la révolte mahdiste.
1898 septembre 2 – Kitchener remporte la bataille d’Omdurman contre les forces du Mahdi, consolidant le contrôle britannique sur le Soudan.
Cette victoire décisive permet à la Grande-Bretagne de réaffirmer son autorité sur le Soudan, mais la brutalité de la répression reste un sujet controversé.
1898 septembre 4 – Profanation de la tombe du Mahdi, Kitchener ordonne l’ouverture de la tombe et le retrait du crâne du Mahdi.
Cette profanation de la tombe du Mahdi a provoqué l’indignation à travers le monde musulman et a terni l’image de Kitchener, malgré ses succès militaires.
1898 novembre 18 – Kitchener est fait « Lord Kitchener of Khartoum » en reconnaissance de ses succès militaires au Soudan.
1899 octobre 11 – Début de la Seconde Guerre des Boers en Afrique du Sud, où Kitchener est d’abord sous le commandement de Lord Roberts.
1900 novembre 29 – Kitchener devient commandant en chef des forces britanniques en Afrique du Sud, prenant la relève de Lord Roberts.
Kitchener met en place des méthodes controversées, notamment les camps de concentration pour les civils boers, suscitant des critiques internationales.
1902 mai 31 – Signature du traité de Vereeniging, marquant la fin de la Seconde Guerre des Boers, à laquelle Kitchener a joué un rôle crucial.
1902 septembre 16 – Kitchener est fait comte, devenant « Earl Kitchener ».
1909 août 12 – Kitchener est nommé gouverneur général et commandant en chef de l’Inde britannique.
En Inde, Kitchener modernise les forces armées britanniques et indiennes, contribuant à renforcer l’emprise coloniale britannique dans la région.
1914 août 5 – Kitchener est nommé secrétaire d’État à la Guerre au début de la Première Guerre mondiale.
1915 avril 25 – Début de la campagne des Dardanelles, une initiative soutenue par Kitchener, qui tourne rapidement au désastre.
La campagne des Dardanelles est une erreur stratégique majeure, conduisant à d’énormes pertes humaines et fragilisant la position de Kitchener au sein du gouvernement.
1916 juin 5 – Mort de Kitchener dans le naufrage du HMS Hampshire après que le navire ait heurté une mine au large des Orcades, alors qu’il se rendait en Russie pour une mission diplomatique.
La mort de Kitchener est perçue comme une tragédie nationale en Grande-Bretagne, et son image reste celle d’un héros militaire malgré ses erreurs.
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