3 Septembre 1934

L'Assignation à résidence de Habib Bourguiba marque le début d’un bras de fer avec le colonialisme Français

Contexte Historique : Une Tunisie en Ébullition

Le 3 septembre 1934, Habib Bourguiba, leader émergent du nationalisme tunisien, est brutalement assigné à résidence par les autorités coloniales françaises. D’abord à Kébili, puis à Borj Lebœuf, deux localités isolées du sud tunisien. Cet acte répressif marque une tentative désespérée de la France pour briser l’élan d’un mouvement indépendantiste en pleine expansion, mais il cristallise aussi la détermination d’un peuple prêt à se libérer du joug colonial.

Pour comprendre l’importance de cet événement, il est crucial de revenir sur la situation de la Tunisie avant 1934. Depuis l’instauration du protectorat français en 1881, le pays est soumis à la domination de Paris qui touche tous les aspects de la vie quotidienne. Les élites traditionnelles, notamment le Destour fondé en 1920, avaient tenté de négocier des réformes avec l’administration coloniale, mais sans succès, accentuant le ressentiment de la population.

L’économie est marquée par l’expropriation des terres agricoles les plus fertiles, désormais contrôlées par les colons français, laissant la majorité des Tunisiens dans une grande précarité. L’administration coloniale impose des taxes écrasantes, augmentant la misère des populations locales. Sur le plan politique, les Tunisiens sont exclus des décisions majeures et toute tentative de revendication est réprimée violemment.

Dans ce contexte d’injustice généralisée, Habib Bourguiba fonde le Néo-Destour le 2 mars 1934, un parti politique qui rompt avec la modération des anciennes élites et propose une approche plus radicale pour obtenir l’indépendance.

Bourguiba et le Néo-Destour : Une Nouvelle Stratégie Nationaliste

L’année 1934 marque un tournant dans l’histoire du nationalisme tunisien avec l’émergence de Bourguiba comme figure centrale. Le Néo-Destour se distingue par une volonté claire de mobiliser la population pour défier le système colonial. Le parti adopte des méthodes de résistance active, telles que le boycott des produits français et la mobilisation des masses contre l’administration coloniale, inspirées par les mouvements révolutionnaires internationaux.

Face à cette montée en puissance, les autorités françaises, inquiètes de la popularité croissante du Néo-Destour, décident d’agir pour étouffer ce mouvement dans l’œuf.

3 Septembre 1934 : Une Répression Ciblée

Le 3 septembre 1934, les autorités françaises arrêtent Bourguiba et l’envoient en résidence surveillée à Kébili, puis à Borj Lebœuf, espérant le couper de ses partisans et réduire son influence. Cette décision s’inscrit dans une stratégie répressive plus large visant à neutraliser les leaders nationalistes et à dissuader toute velléité de révolte.

Ce choix répressif, loin d’affaiblir le Néo-Destour, contribue à en faire un symbole de la résistance contre le colonialisme. Bourguiba, malgré son isolement, devient un martyr aux yeux de la population tunisienne, renforçant ainsi la légitimité de son combat.

Résilience et Mobilisation

Loin de se laisser abattre, le Néo-Destour se réorganise en clandestinité. La répression radicalise davantage ses positions et élargit son soutien populaire. Bourguiba, même en résidence surveillée, reste un leader charismatique dont le courage inspire une large partie de la société tunisienne.

Cette période marque un tournant décisif : la répression renforce la détermination des militants et élève Bourguiba au rang de figure emblématique de la lutte pour l’indépendance.

L’assignation à résidence de Bourguiba aura des répercussions profondes sur le mouvement nationaliste tunisien. Elle poussera Bourguiba à repenser ses méthodes. À sa libération en 1936, il adoptera une approche plus nuancée, combinant résistance pacifique et négociations diplomatiques. Il réalisera que l’indépendance ne pourra être obtenue par la seule force, mais nécessite également un soutien international et un dialogue politique avec les autorités françaises.


Chronologie sur la vie de Bourguiba

Jeunesse et Formation

1903 août 3 – Naissance d’Habib Bourguiba à Monastir, ville côtière du centre-est de la Tunisie. Il est le huitième enfant d’une famille modeste.

1913-1924 – Études primaires et secondaires à Tunis, où il découvre les premières idées nationalistes.

1924-1927 – Bourguiba part pour Paris, où il étudie le droit et les sciences politiques à l’Université de Paris. C’est durant cette période qu’il est profondément influencé par les idéaux républicains et les mouvements anticolonialistes en Europe.

1927 – Retour en Tunisie, où il commence à exercer comme avocat. Bourguiba s’engage rapidement dans des activités politiques, rejoignant le Parti Destourien.

1929-1933 – Collaboration avec le journal « L’Action Tunisienne », où il publie des articles dénonçant les injustices du système colonial français en Tunisie.

1934-1956 – Lutte pour l’Indépendance

1934 mars 2 – Fondation du Néo-Destour à Ksar Hellal, un mouvement politique visant à moderniser et radicaliser la lutte pour l’indépendance, en rupture avec les méthodes modérées du Destour.

1934 septembre 3 – Habib Bourguiba est arrêté par les autorités françaises et assigné à résidence à Kébili, puis à Borj Lebœuf dans le sud de la Tunisie, en raison de son activisme nationaliste.

1936 – Libération de Bourguiba après deux ans d’assignation à résidence. Il reprend immédiatement ses activités politiques et la lutte pour l’indépendance.

1937-1938 – Les tensions entre les autorités françaises et le Néo-Destour s’intensifient. Bourguiba est de nouveau arrêté en avril 1938 après une série de manifestations violemment réprimées. Il est incarcéré à la prison de Téboursouk, puis transféré en France.

1942-1943 – Pendant l’occupation allemande de la Tunisie, Bourguiba est libéré par les forces de l’Axe mais refuse de coopérer avec eux. Après la défaite de l’Axe en Tunisie, Bourguiba revient en France où il est de nouveau emprisonné jusqu’en 1943.

1945 – Bourguiba est libéré et commence une tournée au Moyen-Orient, cherchant à obtenir un soutien international pour la cause tunisienne. Il visite l’Égypte, la Syrie, le Liban et l’Arabie saoudite, où il rencontre plusieurs leaders nationalistes.

1950 – Début des négociations entre le gouvernement français et le Néo-Destour pour l’autonomie interne de la Tunisie. Bourguiba joue un rôle crucial dans ces pourparlers, tout en continuant à mobiliser les masses.

1952 – Après l’échec des négociations, Bourguiba est de nouveau arrêté et déporté en France, où il est emprisonné à l’île de La Galite, puis à l’île de Groix.

1954 – Après le discours de Carthage de Pierre Mendès France, Premier ministre français, promettant l’autonomie interne de la Tunisie, Bourguiba est libéré en juin. Les négociations reprennent entre le Néo-Destour et les autorités françaises.

1956 mars 20 – La Tunisie obtient son indépendance. Bourguiba, en tant que leader du Néo-Destour, est reconnu comme l’architecte de cette victoire.

1957-1987 – De la Présidence à la Déposition

1957 juillet 25 – Abolition de la monarchie en Tunisie. La République tunisienne est proclamée, et Habib Bourguiba est élu premier président de la République tunisienne.

1957-1961 – Bourguiba entreprend une série de réformes profondes pour moderniser la Tunisie, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé et du statut des femmes (Code du statut personnel en 1956).

1961 – Crise de Bizerte entre la Tunisie et la France, aboutissant à une confrontation armée. Bourguiba obtient finalement le retrait des troupes françaises en 1963.

1964 –  Nationalisation des terres agricoles détenues par des colons français, dans le cadre de la politique de « tunisation » de l’économie.

1969 –  La politique économique socialiste menée par le Premier ministre Ahmed Ben Salah échoue, entraînant des difficultés économiques et sociales. Bourguiba décide de réorienter la politique économique vers une approche plus libérale.

1975 – Bourguiba est nommé « Président à vie » par l’Assemblée nationale tunisienne, un tournant qui marque le début d’une présidence de plus en plus autocratique.

1984 – Les « émeutes du pain » éclatent en Tunisie en réaction à la hausse du prix des denrées alimentaires. Bourguiba réprime durement ces manifestations, ce qui ternit son image de leader proche du peuple.

1987 novembre 7 – Habib Bourguiba est déposé par un coup d’État médical orchestré par son Premier ministre, Zine El Abidine Ben Ali, qui invoque son âge avancé et son incapacité à gouverner.

1987-2000 – Les Dernières Années

Bourguiba est placé en résidence surveillée dans sa ville natale de Monastir, où il vivra jusqu’à sa mort, loin de la vie politique active.

2000 avril 6 – Habib Bourguiba meurt à l’âge de 96 ans à Monastir. Ses funérailles nationales attirent une foule immense, témoignant de l’impact durable qu’il a eu sur l’histoire et la société tunisiennes.


Focus sur le injustices coloniales selon Bourguiba

Habib Bourguiba, tout au long de sa carrière politique, a dénoncé de manière persistante plusieurs injustices du système colonial français en Tunisie. Ses critiques étaient fondées sur une analyse approfondie des impacts économiques, sociaux, politiques et culturels du colonialisme sur la société tunisienne. Voici les principales injustices qu’il a mises en lumière :

La Discrimination Économique et Sociale

Bourguiba dénonçait la marginalisation économique des Tunisiens sous le protectorat français. Le système colonial favorisait largement les colons français et les grandes entreprises étrangères, au détriment des Tunisiens :

Inégalités dans l’accès à la terre : Les terres les plus fertiles étaient confisquées par les colons français, souvent au détriment des paysans tunisiens qui se retrouvaient expropriés ou relégués à des terres moins productives. Cette politique de « tunisation » des terres par les colons créait une grande frustration et appauvrissait les populations rurales.

Exploitation des ressources : Les ressources naturelles de la Tunisie, comme le phosphate, étaient exploitées par des entreprises françaises, avec peu de bénéfices réinvestis dans l’économie tunisienne. Les Tunisiens étaient souvent confinés à des emplois subalternes et mal rémunérés dans ces industries.

Accès inégal aux services publics : L’administration coloniale favorisait les colons européens dans l’accès aux services publics, notamment l’éducation, la santé et l’emploi. Les Tunisiens étaient systématiquement désavantagés, renforçant les inégalités sociales.

 

La Répression Politique et l'Absence de Libertés

Bourguiba a constamment critiqué la répression politique exercée par les autorités coloniales françaises, qui cherchaient à étouffer toute forme de contestation ou de revendication nationale :

Absence de représentation politique : Sous le protectorat, les Tunisiens n’avaient pratiquement aucun droit de participation dans les affaires politiques de leur propre pays. Le pouvoir était concentré entre les mains du résident général français et de l’administration coloniale, tandis que les Tunisiens étaient exclus des postes de décision.

Répression des mouvements nationalistes : Bourguiba et ses partisans ont été régulièrement arrêtés, emprisonnés ou assignés à résidence en raison de leurs activités politiques. Les manifestations nationalistes étaient souvent réprimées violemment, comme ce fut le cas lors des émeutes de 1938, où plusieurs manifestants furent tués ou blessés.

Censure et contrôle des médias : Les autorités coloniales imposaient une censure stricte sur la presse et les publications tunisiennes, limitant la liberté d’expression et empêchant la diffusion des idées nationalistes.

La Dévalorisation de la Culture et de l'Identité Tunisienne

Bourguiba a également dénoncé la manière dont le colonialisme tentait de supplanter la culture tunisienne et d’imposer des valeurs et une identité française :

Politique de francisation : L’administration coloniale cherchait à imposer la langue et la culture françaises, souvent au détriment de la culture arabo-musulmane. Cela se manifestait par la francisation des écoles, où l’enseignement se faisait principalement en français, marginalisant ainsi la langue arabe et les traditions locales.

Mépris des institutions religieuses : Le système colonial tendait à minimiser l’importance de l’Islam dans la société tunisienne, une démarche perçue par Bourguiba comme une attaque directe contre l’identité et les valeurs de la population tunisienne.

Érosion des structures sociales traditionnelles : Bourguiba critiquait l’influence destructrice du colonialisme sur les structures sociales et familiales traditionnelles, qui étaient déstabilisées par les politiques d’assimilation et les réformes imposées par les autorités françaises.

L’Exploitation Fiscale

Le système fiscal colonial était un autre point de discorde majeur :

Imposition injuste : Les Tunisiens étaient soumis à des taxes lourdes et souvent injustes, destinées à financer les infrastructures profitant principalement aux colons européens. Les charges fiscales disproportionnées pesaient particulièrement sur les paysans et les classes populaires, accentuant leur pauvreté.

Absence de retour sur investissement : Bourguiba dénonçait le fait que les impôts collectés servaient avant tout les intérêts de la France, avec peu ou pas de bénéfices pour le développement de la Tunisie et le bien-être de ses habitants

L'Injustice Juridique

Bourguiba s’opposait également aux inégalités juridiques instaurées par le système colonial :

Double système judiciaire : La Tunisie coloniale était dotée de deux systèmes judiciaires distincts : un pour les Européens, avec des tribunaux protégés par la loi française, et un pour les Tunisiens, souvent moins protecteur et plus répressif. Les Tunisiens avaient rarement accès à un procès équitable.

Inégalités devant la loi : Les colons jouissaient de privilèges légaux qui n’étaient pas accordés aux Tunisiens, créant une société à deux vitesses où les Européens étaient de facto au-dessus des lois locales.pour l’indépendance, mais elles ont aussi forgé la vision de Bourguiba pour une Tunisie souveraine, moderne et socialement juste.


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