Les raisons du déclin de la dynastie Yuan

En 1271, Kubilai Khan hisse la dynastie Yuan sur le trône de l’Empire du Milieu, une fusion spectaculaire de la puissance mongole et de l’immensité chinoise. Pourtant, moins d’un siècle plus tard, en 1368, cette création s’effondre, brisée par les forces conjuguées de l’économie en déroute, de la corruption corrosive, des catastrophes impitoyables et de l’indignation populaire. Cette chute, par son envergure et sa complexité, mérite une analyse où chaque élément se mêle, s’entrechoque et résonne avec l’histoire d’autres empires qui ont connu des destins similaires.

L’économie en crise et l’ombre des voisins

Les Yuan (1271-1368), maîtres d’une prospérité initiale, glissent rapidement dans l’abîme de la démesure économique. La monnaie-papier, cette innovation brillante, devient un fardeau dans les années 1330 lorsque les empereurs augmentent sa production de façon excessive pour financer des projets titanesques, tels que la rénovation du Grand Canal et l’expansion du palais impérial de Khanbaliq. Ces dépenses démesurées déclenchent une hyperinflation qui réduit la valeur de la monnaie de plus de 80 %, rendant les denrées de base inaccessibles à la population.

Par ailleurs, les routes commerciales, naguère florissantes, s’assombrissent sous la pression de la fragmentation des khanats voisins tels que l’Ilkhanat et la Horde d’Or, affaiblissant le réseau d’échanges et les revenus de l’empire. Des tensions se dessinent aussi avec l’Empire Chagatai, complexifiant encore la stabilité régionale. Cet isolement progressif évoque la position difficile des Byzantins (330-1453), cernés par des menaces et incapables de maintenir la fluidité de leurs échanges commerciaux, essentiels à leur survie.

Corruption et inefficacité : la gangrène des élites

Dans les années 1320, l’administration Yuan, forte de 20 000 fonctionnaires, se transforme en un théâtre de rapacité où chaque acteur s’emploie à enrichir ses propres poches. Les détournements de fonds publics atteignent des niveaux effarants, siphonnant jusqu’à 30 % des ressources de l’État. Pendant que la cour impériale brille de fastes exagérés, le peuple, accablé par les taxes et épuisé par la pauvreté, voit son quotidien sombrer.

Cependant, certains empereurs Yuan tentent de sauver un empire qui chancelle. Sous le règne de Toghon Temür, des réformes administratives inspirées des pratiques chinoises sont mises en place pour renforcer le contrôle des provinces et freiner la corruption. Ces réformes, bien qu’initialement prometteuses, se heurtent à la résistance des gouverneurs locaux et à l’inertie des élites corrompues. Ces tentatives de redressement font écho aux efforts désespérés des derniers souverains Song (960-1279) qui, face à une situation similaire, n’ont pu empêcher leur chute.

Catastrophes naturelles et la main glacée de la peste

En 1344, la rivière Jaune sort de son lit, engloutissant terres et villages, forçant quelque 7 millions de personnes à fuir. La famine s’installe, la production de céréales diminue de 15 % et le pays se prépare à affronter l’inévitable : la désolation. Mais la nature ne s’arrête pas là. En 1346, la peste noire atteint la Chine, ravageant une population qui tombe de 85 millions à environ 60-65 millions en quelques années. Les champs, abandonnés, se transforment en friches, et l’armée, déjà mise à mal par les crises économiques et la corruption, perd ses hommes.

Cette vague de désastres fait écho aux famines et calamités qui ont contribué à la fin de la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), affaiblissant un empire autrefois puissant. La peste noire, quant à elle, rappelle le même fléau qui frappe l’Europe et l’Empire byzantin (330-1453), réduisant la vitalité économique et la capacité de résilience face aux menaces.

Révoltes populaires et la sourde rébellion des lettrés

L’année 1351 marque le début de la révolte des Turbans rouges. Ce mouvement, animé par la misère et des idéologies millénaristes, devient l’étincelle qui embrase tout l’empire. Les armées Yuan, dévastées par la peste et rongées par la désorganisation, s’effondrent sous la pression des insurgés. Les révoltes se multiplient, et les villes autrefois prospères se transforment en bastions de résistance, impliquant des centaines de milliers de révoltés. 

Les lettrés, exclus de la gouvernance et réduits au silence par la hiérarchie ethnique des Yuan, se joignent à la lutte par des moyens culturels. Ils écrivent des satires et des poèmes acides qui, sous des dehors littéraires, sont des appels à la révolte. Cette rébellion intellectuelle, qui ressurgira sous la dynastie Qing (1644-1912), symbolise la renaissance d’une identité chinoise bafouée, à l’instar de la résistance intellectuelle qui précède la chute des Tang (618-907).

Une légitimité en ruine et les réformes manquées

Toghon Temur (R 1333 à 1368) - dernier empereur de la Dynastie Yuan

La légitimité des Yuan vacille. La multitude des crises majeures qui s’ajoutent aux catastrophes naturelles alimente l’idée que les Yuan ne possèdent plus le « Mandat céleste » nécessaire pour gouverner. Selon la croyance chinoise, ce mandat divin justifie la légitimité d’un empereur, et son retrait se manifeste par le chaos.

La hiérarchie ethnique, plaçant les Mongols au sommet, renforce un sentiment d’injustice et de division. Sous Toghon Temür, certains efforts sont pourtant faits pour promouvoir des réformes administratives et adopter des éléments de la culture chinoise, mais ces initiatives n’ont pas l’impact escompté. Les réformes agricoles, bien que mises en œuvre pour stabiliser la production, n’arrivent pas à inverser la tendance au milieu du chaos ambiant.

L’Empire byzantin (330-1453) a lui aussi connu une trajectoire similaire. Face à des crises internes et à des pressions extérieures, les tentatives de réforme et de centralisation échouent lorsque l’unité nationale est perdue et que les fractures ethniques s’élargissent. Les Yuan, coincés entre des rivalités internes et des menaces externes, subissent le même sort, emportés par un manque de cohésion et de légitimité.

Le mot de la fin

Le déclin de la dynastie Yuan est le résultat d’une combinaison de crises internes et de pressions extérieures. L’hyperinflation, la corruption endémique, les catastrophes naturelles et les révoltes populaires alimentées par un mécontentement grandissant sapent l’autorité de l’empire. Bien que des tentatives de réforme aient été faites, elles n’ont pas suffi à contenir l’effondrement. En 1368, la dynastie Ming émerge, restauratrice d’un ordre où l’identité chinoise redevient centrale. L’histoire des Yuan, à l’image d’autres empires multiculturels comme Byzance, souligne l’importance de la gestion des diversités et de l’adaptation face aux défis internes et externes. La chute des Yuan rappelle que l’unité et la légitimité sont des piliers qu’aucune puissance ne peut se permettre de négliger.

Banniere de la dynastie Yuan

Chronologie

1271 – Fondation de la dynastie Yuan :

Kubilai Khan, petit-fils de Gengis Khan, fonde la dynastie Yuan et déclare Khanbaliq (actuelle Pékin) comme capitale, consolidant le pouvoir mongol sur un territoire immense.

1274 et 1281 – Tentatives d’invasions du Japon :

Les Yuan lancent deux expéditions militaires majeures pour soumettre le Japon. Les deux tentatives échouent, en grande partie à cause de typhons dévastateurs surnommés « kamikaze » (vents divins), et entraînent des pertes humaines et matérielles massives. Ces échecs affaiblissent le prestige de l’empire et ses finances.

1294 – Mort de Kubilai Khan :

La mort de Kubilai Khan laisse un vide de pouvoir. Les empereurs qui lui succèdent sont moins compétents et peinent à maintenir l’autorité centrale, marquant le début de luttes internes pour le pouvoir.

1311 – Réformes administratives sous Ayurbarwada Buyantu Khan :

Ayurbarwada, l’un des rares empereurs Yuan à avoir tenté d’adopter des pratiques administratives inspirées du confucianisme, met en place des réformes visant à réduire la corruption et à améliorer l’administration provinciale. Bien que prometteuses, ces réformes s’étiolent après sa mort.

1320s – Début de la corruption endémique :

La corruption se généralise au sein de l’administration. Les fonctionnaires détournent des fonds publics, ce qui affaiblit la capacité de l’État à gérer efficacement les crises et à maintenir l’ordre. Jusqu’à 30 % des recettes fiscales disparaissent dans des pratiques frauduleuses.

1330s – Hyperinflation et dépenses excessives :

Pour financer des projets tels que la rénovation du Grand Canal et l’expansion du palais impérial de Khanbaliq, les Yuan impriment massivement des billets de monnaie-papier, entraînant une dévaluation de la monnaie de plus de 80 %. La population, confrontée à la montée en flèche des prix, subit une misère croissante.

1344 – Inondation de la rivière Jaune :

Une inondation catastrophique de la rivière Jaune entraîne le déplacement d’environ 7 millions de personnes et détruit de vastes zones agricoles, aggravant la famine et les troubles sociaux.

1346 – Début de la peste noire en Chine :

L’épidémie de peste noire se propage le long des routes commerciales, décimant la population chinoise. On estime que la population chute de 85 millions à environ 60-65 millions en quelques années, déstabilisant l’économie et paralysant l’armée.

1351 – Début de la révolte des Turbans rouges :

Les Turbans rouges, un mouvement populaire inspiré par des leaders religieux et paysans, lancent une rébellion contre la dynastie Yuan. Ce mouvement s’étend rapidement à plusieurs provinces, ébranlant l’autorité centrale.

1356 – Prise de Nanjing par Zhu Yuanzhang :

Zhu Yuanzhang, un ancien moine devenu chef de la révolte des Turbans rouges, s’empare de Nanjing et en fait sa base stratégique pour lutter contre la dynastie Yuan.

1363 – Bataille du lac Poyang :

Zhu Yuanzhang affronte Chen Youliang, un autre chef rebelle, lors de la célèbre bataille navale du lac Poyang. La victoire de Zhu consolide sa position de leader et prépare le terrain pour l’assaut final contre les Yuan.

1367 – Offensive finale contre les Yuan :

Zhu Yuanzhang lance une campagne décisive contre les Yuan, menant une série de victoires qui affaiblissent encore plus l’empire et permettent de préparer la prise de la capitale.

1368 – Prise de Khanbaliq et fin de la dynastie Yuan :

Les forces de Zhu Yuanzhang prennent Khanbaliq, mettant fin à la dynastie Yuan. Zhu se proclame empereur et fonde la dynastie Ming, amorçant une nouvelle ère pour la Chine.

1370 – Expulsion des derniers restes de l’administration Yuan :

Les derniers membres de la cour Yuan fuient vers le nord et établissent un gouvernement en exil dans la région de Mongolie, mais leur influence reste marginale et limitée.

Ce qu'il faut retenir

  • Effondrement économique : La surémission de monnaie-papier pour financer des projets pharaoniques, comme la rénovation du Grand Canal et l'expansion du palais impérial de Khanbaliq, a entraîné une hyperinflation qui a ruiné l'économie de l'empire.
  • Corruption généralisée : L'administration Yuan, comptant environ 20 000 fonctionnaires, souffrait de détournements massifs de fonds publics, affaiblissant la capacité de l'État à gérer les crises.
  • Catastrophes naturelles et peste noire : Des inondations dévastatrices et la peste noire ont frappé durement la population, entraînant un déclin démographique majeur (de 85 à environ 60-65 millions), aggravant ainsi l'effondrement social et économique.
  • Révoltes populaires : La révolte des Turbans rouges, mobilisant des centaines de milliers de personnes, a accéléré la chute des Yuan, affaiblissant une armée déjà dévastée par la peste.
  • Tentatives de réforme insuffisantes : Des efforts ont été faits pour renforcer l'administration et rétablir l'ordre, mais ils se sont heurtés à la corruption et aux rivalités internes.
  • Le déclin des Yuan est comparable à celui d'autres empires multiculturels, comme l'Empire byzantin, qui ont échoué à gérer la diversité et les crises internes tout en faisant face à des pressions externes.

FAQ

Les empereurs Yuan ont bien tenté d’introduire des réformes pour renforcer l’administration, réduire la corruption et stabiliser l’économie, mais plusieurs facteurs ont entravé ces efforts. L’un des principaux obstacles résidait dans la corruption généralisée qui s’était infiltrée jusque dans les échelons les plus élevés de l’administration. Les fonctionnaires, souvent d’origine mongole ou alliés des Mongols, profitaient de leurs positions pour détourner des fonds publics, et les tentatives de réforme étaient souvent contournées par des pratiques de favoritisme et de népotisme.

Les efforts de centralisation et de gestion administrative ont également été affaiblis par la hiérarchie ethnique imposée par les Yuan, qui plaçait les Mongols au sommet et les Chinois Han dans des positions subalternes. Cette discrimination a alimenté le ressentiment parmi les élites lettrées chinoises, ce qui a réduit leur implication dans les réformes et, par conséquent, leur efficacité. De plus, les tentatives de stabiliser l’économie, comme la limitation de l’émission de monnaie-papier pour contrôler l’inflation, étaient souvent annulées par les dépenses militaires excessives et les projets coûteux de l’empire, exacerbant encore les problèmes économiques et réduisant la confiance du peuple envers le gouvernement.

La perte de légitimité des Yuan auprès de la population chinoise est le résultat de plusieurs facteurs sociaux, économiques et culturels. D’abord, en imposant une hiérarchie ethnique rigide, les Yuan ont créé une fracture sociale qui plaçait les Mongols au-dessus des autres groupes, particulièrement les Chinois Han, qui constituaient la majorité de la population. Cette hiérarchie a nourri un sentiment de marginalisation et d’injustice parmi les Han, qui se voyaient souvent refuser des postes de responsabilité et étaient relégués à des fonctions secondaires dans l’administration.

La gestion des crises par les Yuan a également contribué à leur perte de légitimité. Lors des inondations de la rivière Jaune en 1344, suivies de la peste noire, le manque de soutien efficace et de plan de secours a renforcé l’idée que les Yuan ne possédaient plus le « Mandat céleste » nécessaire pour gouverner. Selon la croyance chinoise, ce mandat divin justifie la légitimité d’un empereur, et son retrait se manifeste par des catastrophes naturelles ou des crises majeures. En ne répondant pas efficacement aux besoins de la population durant ces épreuves, les Yuan ont progressivement perdu l’appui du peuple, qui voyait ces événements comme des signes de désapprobation divine.

La résistance culturelle a également joué un rôle crucial dans cette perte de légitimité. Les lettrés confucéens et les élites chinoises, exclus de l’administration, ont utilisé la culture et la littérature comme des moyens de résister pacifiquement. Des œuvres satiriques et des poèmes critiques ont alimenté un esprit de résistance et renforcé un sentiment de fierté culturelle, tout en appelant à un retour à une gouvernance Han. Ce rejet culturel, combiné aux tensions sociales, a contribué à la montée de révoltes comme celle des Turbans rouges, accélérant la chute des Yuan.

La chute de la dynastie Yuan offre des leçons importantes pour l’étude des empires multiculturels. Tout d’abord, elle souligne que la diversité ethnique et culturelle, bien qu’elle puisse être une source de richesse, doit être gérée avec soin pour éviter les divisions internes. L’incapacité des Yuan à intégrer la majorité chinoise Han dans leur administration et leur politique a alimenté un sentiment de ségrégation et de rejet. Cela montre qu’un empire stable repose sur l’inclusion et la cohésion entre ses différentes composantes ethniques.

La chute des Yuan met également en évidence l’importance de maintenir des institutions solides et d’assurer la continuité des réformes. Les tentatives de réforme administrative et économique, bien que nécessaires, n’ont pas porté leurs fruits en raison de la corruption généralisée et du manque de soutien populaire. Les Yuan n’ont pas su construire un cadre institutionnel qui aurait pu résister aux crises économiques et sociales, ce qui rappelle que les réformes ne peuvent aboutir sans une gouvernance efficace et sans la confiance des citoyens.

Enfin, les catastrophes naturelles et les pandémies, comme la peste noire, montrent que même les empires les plus puissants peuvent être déstabilisés par des événements imprévus. La gestion de ces crises est cruciale pour maintenir la légitimité d’un régime. Les Yuan ont perdu le soutien populaire en échouant à répondre aux besoins de leur population durant ces périodes de crise, renforçant ainsi le sentiment que leur règne était voué à l’échec. La chute des Yuan nous rappelle que l’unité, la légitimité et une réponse appropriée aux crises sont essentielles pour la survie d’un empire.


En savoir plus

« L’Histoire de la Chine : Des origines à nos jours » – René Grousset couvre l’histoire de la Chine de façon globale. Le chapitre consacré aux Yuan analyse les tensions sociales et économiques qui ont mené à leur déclin. Bien que général, il offre un cadre analytique solide.

« La Civilisation chinoise : Institutions et pensée » – Étienne Balazs.  Ce livre, bien qu’il ne soit pas spécifiquement sur les Yuan, propose des analyses pertinentes sur les systèmes administratifs chinois et aborde la difficulté des empires multiculturels à intégrer différentes populations, ce qui éclaire la fin des Yuan.

« The Cambridge History of China, Volume 6: Alien Regimes and Border States, 907–1368 » – Herbert Franke et Denis Twitchett. Ce volume, en anglais, propose une analyse détaillée de la dynastie Yuan, couvrant les causes de sa chute, notamment la corruption, les révoltes et l’impact des catastrophes naturelles. Cet ouvrage est l’une des références les plus complètes sur l’histoire des Yuan.


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