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ToggleL’élection présidentielle de 1848 au suffrage universel, ou l’illusion d’une République
10 & 11 Décembre 1848. Une France meurtrie mais bouillonnante s’apprête à vivre un moment unique : désigner pour la première fois son président au suffrage universel masculin. Sur le papier, c’est une victoire de la démocratie. Dans les faits, c’est un théâtre d’ombres où chaque acteur incarne un fragment de l’Histoire : un poète déchu, un général honni, et surtout, un nom qui porte à lui seul le poids des espérances nationales – Bonaparte. L’élection de Louis-Napoléon marque-t-elle un tournant démocratique ou n’est-elle qu’un mirage voué à s’effondrer sous le poids des ambitions personnelles et des failles institutionnelles ? Une élection qui, bien qu’inédite, révèle déjà les tensions d’une République vacillante. Reprenons le fil de cette tragédie en plusieurs actes.
La France et son ballet de régimes (1789-1848)
La France est un pays en quête d’équilibre politique depuis 1789. En soixante ans, elle a expérimenté, de façon, que je qualifierais de presque frénétique, une diversité de régimes rarement égalée. Est-elle le laboratoire politique de l’Europe pourrait se demander un néophyte ? A bien des égards, la France a servi de banc d’essai pour des concepts démocratiques qui ont inspiré (ou effrayé) le reste du monde. Jugez-en par vous-même :
- 1792 : Première République. Proclamée après la chute de la monarchie, elle repose sur des pouvoirs collégiaux, éloignant l’idée d’un président unique par crainte des dérives.
- 1799-1815 : Consulat et Empire. Napoléon Bonaparte transforme les aspirations républicaines en une dictature impériale qui redessine l’Europe.
- 1815-1830 : Restauration. Louis XVIII puis Charles X rétablissent une monarchie constitutionnelle, vite contestée.
- 1830-1848 : Monarchie de Juillet. Louis-Philippe incarne une monarchie bourgeoise, mais son régime est balayé par une révolution en février 1848.
Après l’abdication de Louis-Philippe, la Seconde République naît dans un enthousiasme marqué par l’espoir de réformes profondes. Le suffrage universel masculin est institué dès le mois de mars. Le décret d’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises est signé le 27 avril 1848, sous l’impulsion de Victor Schœlcher, et marque un tournant historique. Mais sa mise en œuvre rencontrera des résistances locales. Des projets sociaux comme les Ateliers nationaux sont mis en place pour répondre aux aspirations populaires. Pourtant, les divergences entre les classes populaires et les élites possédantes qui redoutent une dérive révolutionnaire deviennent très vite insurmontables.
Les espoirs déçus
Dès les premières semaines, les contradictions éclatent, alors que la République naissante, portée par des idéaux sociaux, se heurte rapidement à la dure réalité économique et politique. Les Ateliers nationaux, conçus pour offrir du travail aux chômeurs et symbole des promesses sociales, sont un trop lourd fardeau financier pour un gouvernement confronté à une grave crise économique mondiale. Entre 1846 et 1848, mauvaises récoltes, chômage et faillites plongent l’Europe dans une récession sans précédent. Acculé, le gouvernement décide de fermer ces Ateliers.
Cette décision déclenche les Journées de Juin, une insurrection ouvrière où les espoirs de la « République démocratique et sociale » s’effondrent dans le sang. Le général Louis-Eugène Cavaignac, d’abord hésitant à engager la troupe, reçoit les pleins pouvoirs exécutifs le 24 juin et mène une répression féroce. Trois jours. Trois jours de guerre cvile. Paris s’effondre. La République, elle, vacille et l’ordre est finalement rétabli au prix d’un terrible bilan humain : entre 3,000 et 5,000 insurgés tués, contre 1,600 morts du côté des forces de l’ordre. Par ailleurs, on dénombre 25,000 arrestations et 11,000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie.
Pour les élites, Cavaignac devient un héros garant de l’ordre, mais pour les classes populaires, il incarne la trahison des idéaux républicains. Son action lui vaut le surnom de « prince du sang », cristallisant la haine des ouvriers envers sa personne. Pourtant, l’Assemblée nationale le récompense en lui confiant le pouvoir exécutif avec le titre de président du Conseil des ministres. Dans ce rôle qu’il occupera jusqu’ en décembre, il impose des mesures autoritaires : état de siège, censure des journaux hostiles, et déportation des insurgés. Ces mesures, bien qu’efficaces à court terme, renforcent l’idée d’une République inflexible, éloignée des idéaux de février.
1848 : l’Europe en crise
1848 est également une année bouillonnante pour de nombreux pays européens. De Berlin à Rome, l’Europe entière s’embrase, portée par les espoirs révolutionnaires des peuples qui se dressent contre des régimes monarchiques jugés archaïques. À chaque coin du continent, des républiques éphémères voient le jour, avant d’être violemment réprimées par les forces conservatrices.
- En Allemagne, en Hongrie, Tchéquie, les mouvements révolutionnaires sont étouffés par des coups de sabre. Les élans démocratiques s’écrasent contre les murs des vieilles monarchies.
- À Rome, après la fuite du pape Pie IX, la République romaine est proclamée. Inspirée par des figures comme Giuseppe Mazzini, elle tente des réformes ambitieuses, portées par une volonté de justice sociale et démocratique. Mais cette audace dérange. En 1849, elle est brutalement réprimée. Et, ironie de l’Histoire, ce sont les troupes françaises qui participent aux côtés des Autrichiens à son écrasement. Oui, vous avez bien lu. La France de la Révolution, celle des « Droits de l’Homme », la même qui proclame la Seconde République, dépêche ses soldats pour rétablir l’autorité pontificale et défaire une République sœur.
La situation de 1848 m’invite à faire un parallèle avec les fractures sociales contemporaines. Les idéaux de justice sociale semblent toujours se heurter à la peur d’un désordre incontrôlable, comme si l’histoire n’en finissait pas de se répéter.
Une élection pionnière : Un modèle inédit en Europe
Malgré la situation difficile, la France poursuit son travail législatif et se dote le 4 novembre 1848 d’une nouvelle Constitution. Elle prévoit l’élection directe d’un président de sa République Française par l’ensemble des citoyens masculins d’au moins 21 ans et sans distinction de richesse pour un mandat de 4 ans (en référence aux Etats-Unis d’Amérique). C’est près de 10 millions d’électeurs qui seront ainsi appelés à voter contre 240,000 pour le suffrage censitaire de 1847. Elle représente, incontestablement une avancée démocratique spectaculaire. Avec son audace, Paris semble avancer seule sur un terrain mouvant et périlleux, car la société est encore largement rurale et peu éduquée politiquement.
Si la France est la première république européenne à procéder de la sorte, elle n’est en revanche pas la seule à expérimenter ce mode de gouvernance. Même si peu de pays au monde y ont recours à cette époque.
C’est le cas aux États-Unis, ou le président est élu depuis 1789, de manière indirecte, par un collège électoral. En 1848, James K. Polk achève son mandat. La Constitution américaine lui accorde des pouvoirs étendus, notamment un droit de veto et la possibilité d’être réélu. En comparaison, la France adopte une approche plus prudente, voire méfiante : pas de réélection immédiate et un président empêché de dissoudre l’Assemblée. Cela reflète assurément une peur profondément enracinée d’un retour à l’autoritarisme. Cependant, il est frappant de constater que, malgré les différences structurelles, les deux nations partagent une même quête : concilier un pouvoir exécutif fort avec la souveraineté populaire.
Ailleurs, dans les jeunes républiques d’Amérique latine, comme l’Argentine, la Colombie ou le Mexique, les présidents sont également élus, mais dans des contextes marqués par une instabilité chronique et des coups d’État fréquents. Ces nations, souvent inspirées par les idéaux révolutionnaires français et américains, se heurtent à des défis immenses : des élites conservatrices puissantes, des tensions sociales exacerbées et des militaires prêts à s’imposer par la force.
Soulignons enfin qu’en 1848, aucun pays du monde ne donne voix au chapitre aux femmes, exclues du suffrage universel. Considérées comme naturellement destinées à la sphère privée, leur rôle se limite à celui d’épouse et de mère, car perçues comme inaptes à la vie publique et politique. De plus, des arguments religieux et idéologiques, comme la crainte d’une influence excessive de l’Église ou l’association de la citoyenneté au service militaire, justifient leur exclusion. Sans doute craignait-on qu’en votant, les femmes ne délaissent leurs fourneaux… ou pire, qu’elles montrent une lucidité politique capable de faire vaciller les certitudes bien ancrées des messieurs en redingote. Il faudra attendre 1893 pour qu’enfin la Nouvelle-Zélande leur reconnaisse en premier ce droit fondamental, et 1944 pour la France. Ironiquement, pour une nation qualifiée par certains de « phare de l’humanité », rien de moins, il semblerait que la lumière ait vacillé bien trop longtemps, éclipsée par des ombres d’un autre âge.
Les candidats à la présidence française : un poète, un soldat et un héritier de l'Aigle
Mais revenons à l’élection présidentielle de 1848. Elle n’est pas une simple compétition politique. C’est une scène où chaque candidat incarne des aspirations et des craintes profondes d’une France déchirée. Je reste fasciné par la diversité des profils des candidats. On pourrait dire que chacun représente une facette de la société française de l’époque. En relisant leurs parcours pour préparer cet article, je ne peux m’empêcher de penser à une citation de François Guizot : « L’histoire n’est que le récit des hommes et de leurs passions ». Cette élection en est l’illustration parfaite, où chaque candidat est à la fois un acteur et un symbole d’une France profondément divisée. Mais si le suffrage universel masculin ouvre les urnes à près de dix millions d’hommes, les choix qui s’offrent à eux ressemblent davantage à une lutte entre des figures symboliques qu’à une confrontation d’idées.
Avec un taux de participation élevé de 75,6 %, mais en retrait par rapport aux élections législatives de 9 points, cet événement témoigne de l’engouement des Français pour cette première expérience démocratique d’ampleur. Cependant, les résultats proclamés le 20 décembre révèlent une France déchirée entre aspirations sociales, nostalgie impériale et peur du désordre.
Louis-Napoléon Bonaparte (1808-1873)
L’alchimiste du mythe et de la stratégie.
Louis-Napoléon Bonaparte est le 3ème fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande (1806-1810) et de Hortense de Beauharnais. Il a dominé cette élection comme un maître invisible : silencieux mais omniprésent, insaisissable mais incontournable. Ce n’est pas l’homme qu’on élit, c’est une promesse, une projection, un héritage. Le nom "Bonaparte" suffit à traverser le temps et les esprits, évoquant à la fois les victoires impériales, l’ordre rétabli, et la stabilité rêvée. Dans un pays où 85 % de la population vit encore dans les campagnes, ce nom est une clé universelle qui ouvre les cœurs et efface les doutes.
Mais réduire son triomphe à un simple mythe serait une erreur. Louis-Napoléon a su orchestrer une campagne aussi subtile qu’efficace. Revenu d'exil peu après les événements de juin, il est soutenu par Harriet Howard, sa maîtresse anglaise, et un réseau de fidèles comme Persigny. Il a mobilisé des relais locaux, multiplié les affiches et les journaux, et su utiliser les notables pour capter les électorats les plus divers. Il ne promet rien de précis, mais tout semble possible : justice sociale pour les ouvriers, respect de la propriété pour les notables, paix pour les paysans. Cette ambiguïté n’est pas une faiblesse, c’est une stratégie magistrale.
À cela s’ajoute une capacité unique à rassembler au-delà des divisions sociales. Alors que ses adversaires peinent à séduire au-delà de leurs bases traditionnelles, Bonaparte s’impose comme un point de convergence. Son absence de charisme personnel est compensée par la force d’une image, d’un nom qui porte les espoirs d’une France fatiguée des révolutions et avide de stabilité. Avec 74,3 % des suffrages, il ne triomphe pas seulement d’une élection : il fédère un peuple en quête d’un chef. Et pourtant, derrière cette victoire écrasante, on devine déjà les tensions qui surgiront lorsque les rêves devront s’incarner en décisions.
Louis-Eugène Cavaignac (1802-1857)
Louis-Eugène Cavaignac est un homme de devoir, mais pas un homme de rêve. En juin 1848, il a sauvé la République d’une insurrection ouvrière, réprimant les Journées de Juin avec une rigueur impitoyable. Les élites lui doivent leur sécurité, mais les ouvriers ne lui pardonneront jamais. À leurs yeux, il n’est pas un héros, mais un bourreau. Pourtant, pour beaucoup, il représente une valeur essentielle : l’ordre.
Sa campagne, plus structurée qu’on ne le croit, a mobilisé les élites républicaines et les milieux bourgeois. Cavaignac a incarné une promesse de stabilité face aux tumultes révolutionnaires. Mais c’est là où le bât blesse : alors que la France rurale aspire à un rêve, lui n’offre qu’un répit. Sa personnalité austère, son manque de charisme, et son image trop militaire ne séduisent guère les foules. Dans un scrutin où l’émotion et l’image comptent autant que les idées, Cavaignac reste un technicien efficace mais dépourvu d’étincelle.
Avec 1,4 million de voix, soit 19,6 % des suffrages, il échoue à fédérer au-delà de son électorat naturel. Sa promesse de stabilité républicaine, bien qu’honnête, n’a pas su rivaliser avec la magie du nom "Bonaparte". Pourtant, Cavaignac laisse un héritage important : celui d’une République qui, même dans ses contradictions, s’appuie encore sur des hommes capables de sacrifier leur popularité pour préserver l’ordre. Mais dans cette élection, la raison n’a pas pesé lourd face aux rêves.
Alexandre Ledru-Rollin (1807-1874)
Mais ses convictions effraient. Dans une France majoritairement rurale et conservatrice, il est vu comme un dangereux "rouge". Sa campagne, portée par le club Solidarité républicaine, mobilise avec fougue les milieux ouvriers et les démocrates avancés, mais elle n’atteint guère au-delà des cercles urbains acquis à sa cause. Son résultat, 5 %, reflète une République incapable de suivre ses élans progressistes, paralysée par la peur d’un nouveau chaos révolutionnaire. Ledru-Rollin, flamboyant mais marginalisé, reste un avertissement dans une époque qui ne veut pas du changement.
François-Vincent Raspail (1794-1878)
La voix derrière les barreaux.
Il n’a pas fait campagne. Il était en prison. Mais cela n’a pas empêché François-Vincent Raspail de se lancer dans cette élection comme un cri dans le vide. Figure de l’extrême gauche socialiste, anticlérical fervent, il porte les rêves des marginaux, des ouvriers, des oubliés. Sa candidature est un défi, pas une stratégie. Depuis sa cellule, où il croupit pour avoir osé rêver d’un soulèvement républicain en mai 1848, il continue à incarner une République égalitaire.
Son score ? 37 121 voix. Mais ce chiffre, ridicule au premier regard, est une déclaration d’intention. Raspail ne jouait pas pour gagner. Il jouait pour exister, pour rappeler que la République n’appartient pas qu’aux notables et aux pragmatiques. Une flamme qui vacille, mais refuse de s’éteindre.
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Alphonse de Lamartine, poète des cœurs et orateur des foules, était autrefois l’idole d’une révolution. En février 1848, il proclamait la République avec l’élan d’un homme persuadé que la poésie peut changer le monde. Mais les mois ont passé, et avec eux, les illusions. À force d’hésitations face aux crises, d’erreurs face à l’économie, Lamartine s’est effondré. L’opinion publique ne voit plus en lui qu’un rêveur, incapable de faire face à la dureté du réel.
Sa candidature à la présidentielle ressemble à une tentative désespérée de ranimer une flamme éteinte. Avec 0,3 %, son score est un échec cuisant, mais surtout une leçon : les mots, même les plus beaux, ne suffisent pas à gouverner. Lamartine, sublime mais vain, achève ici son voyage en politique.
Une leçon démocratique, une tragédie annoncée
L’élection présidentielle de 1848 incarne une promesse inédite : celle d’un peuple qui, pour la première fois, s’exprime massivement par les urnes. Mais cette promesse s’effondre sous le poids des contradictions. Le suffrage universel masculin, conçu comme un outil de progrès démocratique, devient l’instrument d’une nostalgie impériale et d’un ordre rural. Louis-Napoléon Bonaparte, élu par le peuple, incarne moins un projet qu’un mythe, celui d’une France cherchant un refuge dans un passé glorieux face aux incertitudes du présent. Je suis interrogatif sur cette République, née dans l’enthousiasme, était-elle finalement condamnée dès ses premiers mois ? Ou aurait-elle pu survivre avec des institutions plus solides et une cohésion sociale réelle ?
En tout cas la Constitution de 1848, ambitieuse mais bancale, va vite montrer ses limites. Elle tente de concilier une légitimité populaire forte avec des institutions trop fragiles. Ce déséquilibre aboutira fatalement au coup d’État de 1851, où le suffrage universel sera récupéré pour légitimer un régime autoritaire. Ainsi, cette élection illustre une leçon essentielle : la démocratie ne repose pas seulement sur le droit de vote, mais sur des institutions solides et une société prête à défendre ses valeurs.
Le spectre de 1848 continue de hanter nos démocraties modernes. Il nous rappelle que la démocratie n’est jamais acquise, mais qu’elle est une lutte constante entre les idéaux et la réalité des ambitions humaines et des tensions sociales. . Ce qui me frappe dans cette histoire, c’est la capacité des institutions à être à la fois porteuses d’idéaux et d’illusions, laissant à chaque citoyen la responsabilité de démêler l’espoir du mirage. »
En tout cas, à bien des égards, cette tragédie politique reste un avertissement : la démocratie est une conquête fragile, qu’il faut sans cesse réinventer et protéger.
Chronologie
1789 – Révolution Française
Début de la Révolution française, mettant fin à la monarchie absolue et amorçant une période de transformation politique.
1791 Septembre 3 – Adoption de la Constitution de 1791 :
Adoptée par l’Assemblée nationale constituante, cette constitution instaure une monarchie constitutionnelle avec un suffrage censitaire. Seuls les citoyens actifs, soit environ 15 % de la population masculine adulte, peuvent voter.
1792 Septembre 21 – Proclamation de la Première République :
La monarchie est abolie après l’insurrection du 10 août. Une Convention nationale, élue au suffrage universel masculin (mais avec de nombreuses restrictions pratiques), se réunit pour élaborer une nouvelle constitution.
1793 Juin 24 – Adoption de la Constitution montagnarde :
Approuvée par référendum mais jamais appliquée en raison du contexte de la Terreur, elle proclame le suffrage universel masculin et introduit des droits sociaux, une avancée majeure sur le papier.
1795 Août 22 – Constitution du Directoire :
Adoptée par la Convention thermidorienne et approuvée par référendum, elle rétablit un suffrage censitaire plus restreint et met en place un régime exécutif collégial.
1799 Décembre 15 – Constitution de l’an VIII :
Élaborée après le coup d’État de Napoléon Bonaparte, cette constitution est ratifiée par plébiscite. Le suffrage universel masculin est rétabli mais avec des restrictions : seuls les citoyens inscrits dans des listes de confiance peuvent réellement voter.
1804 Mai 18 – Proclamation de l’Empire :
Napoléon Bonaparte devient empereur après un plébiscite. La Constitution de l’an XII renforce son pouvoir absolu, tout en maintenant un suffrage universel très encadré.
1814 Avril 6 – Première abdication de Napoléon et restauration monarchique :
Louis XVIII adopte la Charte constitutionnelle de 1814 par ordonnance. Le suffrage censitaire est réintroduit, limitant la participation électorale à une élite très restreinte (moins de 1 % de la population).
1830 Août 9 – Monarchie de Juillet :
Après les Trois Glorieuses, Louis-Philippe d’Orléans devient roi sous une monarchie constitutionnelle modifiée par la Charte révisée de 1830, adoptée par l’Assemblée nationale. Le suffrage censitaire est légèrement élargi mais reste limité aux plus fortunés.
1848 Février 24 – Révolution à Paris. Abdication de Louis-Philippe Ier.
La révolution française de 1848 résulte d’un mécontentement croissant face à un régime perçu comme corrompu, insensible aux revendications populaires, notamment sur le suffrage, et incapable de répondre à une grave crise économique et sociale marquée par le chômage et les tensions urbaines.
Formation du gouvernement provisoire présidé de manière symbolique par Dupont de l’Eure, un vétéran respecté des républicains. Le pouvoir fonctionne principalement de manière collégiale, avec des figures comme Alphonse de Lamartine (Affaires étrangères), Louis Blanc (questions sociales) et Ledru-Rollin (Intérieur), qui jouent des rôles clés. Ce gouvernement est chargé de gérer la transition après la chute de la monarchie de Juillet et de préparer l’élection de l’Assemblée constituante..
1848 Février 25 – Adoption du drapeau tricolore & séries de mesures
Lamartine s’oppose à l’adoption du drapeau rouge. Création de la Garde nationale mobile. Décrets sur le droit au travail et la création d’associations ouvrières.
1848 Février 26 – Création des Ateliers nationaux & Abolition de la peine de mort en matière politique
1848 Février 28 – Manifestation ouvrière réclamant un ministère du Travail
Création de la Commission du gouvernement pour les travailleurs, dirigée par Louis Blanc.
1848 Mars 2 – Réduction de la journée de travail à Paris et abolition du marchandage pour les embauches
Diminution d’une heure de la journée de travail la portant à 11 heures à Paris contre 12 heures en Province. Abolition du marchandage pour les embauches, pratique très ancienne. Cette décision supprime les intermédiaires exploitants (les marchandeurs) qui recrutaient jusqu’alors des ouvriers pour le compte d’employeurs en réduisant leurs salaires. Cette mesure garantit des négociations directes entre employeurs et ouvriers, limitant ainsi l’exploitation et renforçant le droit au travail.
1848 Mars 4 – Mise en place de la commission pour l’abolition de l’esclavage
Création d’une commission visant à abolir l’esclavage dans les colonies françaises.
1848 Mars 5 – Décret sur le suffrage universel masculin direct.
Convocation de l’Assemblée constituante fixée au 23 avril. Adoption du cours forcé du billet de banque.
1848 Mars 16 – Création de l’impôt des 45 centimes
Pour renflouer les caisses publiques, cet impôt provoque un mécontentement dans le monde rural en augmentant fortement les contributions.
1848 Mars 17 – Manifestation ouvrière à Paris
Manifestation pour reporter les élections constituantes, illustrant les tensions entre aspirations populaires et décisions gouvernementales.
1848 Mars 21 – Soulèvement à Bordeaux
Émeute contre le gouvernement provisoire, témoignant de l’instabilité politique et sociale en province.
1848 Avril 23-24 – Élections législatives françaises
Les élections législatives françaises des 23 et 24 avril 1848 marquent le passage au suffrage universel masculin, multipliant par quarante le nombre d’électeurs par rapport au système censitaire. Les résultats sont difficiles à interpréter car il n’y a pas de véritable organisation en partis. Dominées par les républicains modérés, qui obtiennent entre 280 et 500 sièges, elles révèlent une Assemblée hétérogène, où figurent aussi le Parti de l’Ordre (250-310 sièges) et la Montagne (80-200 sièges). Lamartine, élu dans 17 départements, incarne l’élan républicain. Ces élections, bien que démocratiques, témoignent des tensions entre aspirations populaires et contrôle des élites rurales.
Résultats :
Parti et faction politique Votes (%) Sièges Républicains modérés 68 280-500 Parti de l’Ordre 23 250-310 Montagne 9 80-200
Participation :
Inscrits : 9 395 035
Votants : 7 835 327 (83,40 % de participation)
Abstentions : 1 559 708 (16,60 %).
1848 Avril 27 – Abolition de l’esclavage dans les colonies françaises.
Décret signé sous l’impulsion de Victor Schœlcher.
1848 Avril 29 – Nomination de Cavaignac
Louis-Eugène Cavaignac est nommé gouverneur de l’Algérie.
1848 Mai 4 – Proclamation de la République
L’Assemblée constituante proclame solennellement la République.
1848 Mai 10 – Élection par l’Assemblée d’un nouveau gouvernement : la Commission exécutive
La Commission exécutive, formée le 10 mai 1848, remplace le gouvernement provisoire et marque un virage modéré dans la Seconde République. Composée de figures républicaines comme Lamartine, Garnier-Pagès et Ledru-Rollin, elle exclut les représentants de la gauche socialiste, Louis Blanc et l’ouvrier Albert, perçus comme trop proches des revendications ouvrières. Cette mise à l’écart symbolise l’éloignement progressif des idéaux sociaux portés en février 1848 au profit d’une République plus conservatrice.
1848 Mai 15 – Échec du coup de force de la gauche républicaine
Tentative avortée de prise de pouvoir par la gauche républicaine. Arrestation de figures socialistes comme Barbès et Blanqui.
1848 Mai 16 – Dissolution de la Commission du Luxembourg
La Commission présidée par Louis Blanc est dissoute, marquant un recul des réformes sociales dans la jeune République. Chargée dès février par le gouvernement provisoire d’examiner les questions sociales et ouvrières, elle réunissait des représentants des employeurs et des ouvriers pour débattre des réformes visant à améliorer les conditions de travail et à instaurer le droit au travail.
1848 Mai 24 – L’Assemblée recommande la fermeture des Ateliers nationaux
Cette décision accentue les tensions entre les classes populaires et les élites républicaines.
1848 Juin 12 – Lamartine souhaite rendre exécutoire la loi d’exil de 1832
Alphonse de Lamartine propose aux députés de rendre exécutoire la loi d’exil du 10 avril 1832 qui interdit le territoire français aux membres des familles ayant régné sur la France. Cette initiative vise principalement Louis-Napoléon BONAPARTE qui vit en exil à Londres.. Sa proposition est rejetée.
1848 Juin 21 – Fermeture des Ateliers nationaux.
Décision qui provoque les Journées de Juin.
1848 Juin 23-26 – Journées de Juin.
Insurrection ouvrière violemment réprimée par le général Cavaignac. Entre 3 000 et 5 000 morts côté insurgés.
1848 Juin 28 – Cavaignac devient président du Conseil des ministres.
Démission de la Commission exécutive. Il reçoit les pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre après les Journées de Juin. Il restera en fonction jusqu’à l’élection d’un président de la République.
1848 Juillet 3 – Elections Municipales
Les notables traditionnels sortent renforcés du scrutin municipal. Apparition d’une opposition « de gauche » (en particulier dans le Sud-Est).
1848 Juillet 28 – Décrets limitant la liberté des clubs politiques
Réduction de la liberté d’expression pour les clubs, perçue comme une mesure répressive contre les mouvements populaires.
1848 Août 9 – Rétablissement du cautionnement pour la presse
Imposition d’un cautionnement et décret sur les délits de presse, visant à contrôler les publications critiques.
1848 Septembre 17-18 – Elections Législatives partielles
Louis-Napoléon se présente aux élections législatives. Il est candidat dans cinq départements, pratique courante à l’époque. Élu avec 300,000 voix au total, il reçoit également des suffrages des départements de l’Orne, du Nord et de la Gironde, où il n’était pas candidat. Il revient à Paris le 24 septembre, et le lendemain, son élection est validée à l’unanimité par l’Assemblée.
1848 Novembre 4 – Adoption de la Constitution de la Deuxième République
La nouvelle Constitution, adoptée par l’Assemblée constituante, prévoit un président élu au suffrage universel masculin direct pour un mandat de quatre ans non renouvelable.
1848 Décembre 10-11- Première élection présidentielle au suffrage universel masculin.
Louis-Napoléon Bonaparte élu président avec 74,3 % des voix. Il est oficiellement investi président le 20 décembre.
1849 Mai 13 – Conflit entre le président et l’Assemblée sur l’expédition de Rome.
Louis-Napoléon Bonaparte envoie des troupes pour rétablir l’autorité pontificale, provoquant des tensions avec le président de l’Assemblée Nationale, Emile Ollivier, qui plaide pour une approche plus prudente.
1850 Mai 31 – Adoption de la loi réduisant le corps électoral.
La nouvelle loi électorale proposée par le ministre de l’intérieur, Adolphe Crémieux, prive environ 3 millions d’électeurs, majoritairement ouvriers et paysans pauvres, du droit de vote. Cette mesure vise à restreindre l’influence des classes populaires sur le processus électoral, favorisant ainsi les intérêts des classes plus aisées et conservatrices.
1851 Décembre 2 – Coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte.
Dissolution de l’Assemblée nationale et instauration du Second Empire.
Ce qu'il faut retenir
-
Une première historique : L’élection présidentielle de 1848 marque une avancée démocratique sans précédent avec l’introduction du suffrage universel masculin, mobilisant près de 10 millions d’électeurs. Une première en Europe, et un événement majeur dans l’histoire politique mondiale.
-
Un contexte explosif : Entre la crise économique mondiale, les tensions sociales internes et les révolutions européennes, la Seconde République naît dans un climat de chaos et d’incertitudes.
-
Des figures symboliques : Chaque candidat représente une facette des aspirations et des peurs de la France de 1848, mais c’est le nom de Bonaparte, plus qu’un programme, qui triomphe dans les urnes.
-
Un triomphe rural : La victoire de Louis-Napoléon Bonaparte repose en grande partie sur les campagnes, où l’image du Premier Empire évoque ordre et grandeur, contrastant avec les troubles révolutionnaires récents.
-
Des institutions fragiles : La Constitution de 1848, bien qu’ambitieuse, s’avère incapable de contenir les tensions entre un président doté d’une forte légitimité populaire et une Assemblée hostile. Ces failles mèneront au coup d’État de 1851.
-
Une leçon pour l’avenir : Cette élection montre que le suffrage universel, sans institutions solides pour l’encadrer, peut devenir un outil d’autoritarisme. Elle reste un avertissement pour toute démocratie en construction.
FAQ
Qu’est-ce qui a conduit à la chute de Louis-Philippe en février 1848
Louis-Philippe, roi des Français depuis 1830, incarne la monarchie de Juillet, un régime né de la Révolution de 1830 et marqué par une tentative de compromis entre monarchie et aspirations libérales. Si ses débuts sont caractérisés par une relative stabilité, son règne s’enlise progressivement dans des tensions sociales, économiques et politiques qui conduisent à sa chute en 1848.
Une monarchie conservatrice et élitiste
Bien qu’installé par une révolution, Louis-Philippe s’éloigne rapidement des idéaux démocratiques portés par les insurgés de 1830. Le régime repose sur une bourgeoisie enrichie qui privilégie la stabilité économique et sociale au détriment des réformes politiques et sociales. Le système électoral censitaire limite la participation politique à une infime minorité (environ 1 % de la population), excluant les classes populaires et même une partie des classes moyennes. Cette orientation creuse un fossé grandissant entre les élites économiques et les masses populaires frustrées par l’absence de réformes.
Crise économique et montée des tensions sociales
À partir de 1846, une série de mauvaises récoltes provoque une flambée des prix des denrées alimentaires, notamment du pain, aliment de base des classes populaires. Parallèlement, une récession industrielle entraîne une hausse du chômage dans les grandes villes comme Paris et Lyon, accentuant la précarité des ouvriers. Cette crise économique exacerbe le mécontentement général et nourrit un climat d’instabilité sociale.
Un régime discrédité par l’autoritarisme
Face aux revendications croissantes pour plus de libertés politiques, Louis-Philippe maintient une ligne autoritaire. Les mouvements républicains et socialistes sont réprimés, tandis que le gouvernement dirigé par François Guizot s’oppose fermement à toute réforme électorale. Cette fermeture politique alimente un sentiment d’injustice parmi les opposants au régime, qui trouvent dans les « banquets républicains » organisés à travers le pays un moyen de contourner l’interdiction des réunions politiques. En 1847, ces banquets deviennent un espace d’expression pour les idées démocratiques et sociales.
L’affaire des banquets et la révolution de février 1848
La tension atteint son paroxysme en février 1848 lorsque le gouvernement interdit un banquet prévu à Paris. Cette décision déclenche des manifestations massives les 22 et 23 février. La répression brutale ordonnée par le pouvoir ne fait qu’aggraver la situation, entraînant l’érection de barricades dans la capitale. Le 24 février, face à l’insurrection généralisée et à l’abandon de ses soutiens politiques, Louis-Philippe abdique et s’exile en Angleterre.
Un contexte international et colonial sous-estimé
Le règne de Louis-Philippe est également marqué par un rôle international important. L’Entente cordiale avec l’Angleterre symbolise une volonté d’apaisement en Europe, tandis que la conquête coloniale en Algérie (débutée sous Charles X) se poursuit activement sous son règne. Cependant, ces succès diplomatiques et militaires ne suffisent pas à compenser les crises internes qui minent le régime.
Quels sont depuis 1789 les différents suffrages électoraux utilisés en France ?
| Période | Système de suffrage | Mode d’élection | Corps électoral | Durée d’application |
|---|---|---|---|---|
| 1791 (Constitution) | Suffrage censitaire indirect | Électeurs choisis par les citoyens actifs, députés élus par ces électeurs | Environ 4 millions de citoyens actifs | 1791-1792 |
| 1793 (Constitution de l’An I, non appliquée) | Suffrage universel masculin direct | Vote direct pour l’élection des représentants | Théoriquement tous les hommes | Non appliquée |
| 1795 (Constitution de l’An III) | Suffrage censitaire indirect | Vote indirect via des assemblées électorales | Environ 1,5 million d’électeurs | 1795-1799 |
| 1799 (Constitution de l’An VIII) | Suffrage universel masculin plébiscitaire | Approbation par plébiscite des choix du gouvernement | Environ 6 millions d’électeurs inscrits | 1799-1815 |
| 1815 (Restauration) | Suffrage censitaire direct | Vote direct par des citoyens suffisamment riches pour être électeurs | ~100 000 électeurs | 1815-1830 |
| 1831 (Monarchie de Juillet) | Suffrage censitaire élargi | Vote direct, élargissement des conditions de richesse pour être électeur | ~240 000 électeurs | 1831-1848 |
| 1848 (Seconde République) | Suffrage universel masculin direct | Vote direct pour tous les hommes de 21 ans et plus | Environ 9 millions d’électeurs | 1848-1852 |
| 1852 (Second Empire) | Suffrage universel masculin direct (plébiscitaire) | Vote direct, mais encadré pour légitimer les choix du régime | ~10 millions d’électeurs | 1852-1870 |
| 1875 (Troisième République) | Suffrage universel masculin direct | Vote direct pour les députés, indirect pour les sénateurs | ~10 millions d’électeurs | 1875-1940 |
| 1946 (Quatrième République) | Suffrage universel mixte direct | Vote direct pour les députés par hommes et femmes | ~20 millions d’électeurs | 1946-1958 |
| 1958 (Cinquième République) | Suffrage universel mixte indirect/direct | Président élu par collège électoral jusqu’en 1962, puis par vote direct | ~25 millions d’électeurs | 1958-1962 (indirect), 1962-présent (direct) |
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« La Deuxième République » d’ Inès Murat analyse cette période brève mais cruciale de l’histoire française (1848-1851). L’ouvrage explore les tensions entre une République démocratique et sociale et une République conservatrice, tout en soulignant les avancées majeures comme le suffrage universel masculin et l’abolition de l’esclavage. Murat montre que cette République, loin d’être un simple intermède, a posé les bases des débats modernes sur la démocratie, le socialisme et le rôle de l’État. Elle y voit un microcosme du XIXe siècle, marqué par des idéaux de progrès et des résistances conservatrices.
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