Quand la France décide de se réinventer

Le 22 septembre 1792, la France se réinvente. Littéralement. Ce jour-là, la Première République est proclamée, balayant d’un revers de main des siècles de monarchie. Ce n’est pas une simple réforme, c’est une révolution cosmique : la France ne se contente pas de renverser son roi, elle redéfinit le temps lui-même, remplaçant le calendrier grégorien par le calendrier républicain. Un acte de bravoure ou de folie ? Peut-être les deux.

La monarchie : victime de la colère populaire

Revenons un peu en arrière. Depuis plusieurs années, la France est à bout de souffle. Une série de crises économiques, sociales et politiques empoisonnent le royaume. La famine, l’injustice et la rigidité monarchique ne font qu’accentuer les tensions. Le roi Louis XVI, après sa pitoyable fuite à Varennes, incarne de plus en plus l’incompétence monarchique. Le peuple, enragé, finit par attaquer le palais des Tuileries le 10 août 1792. Louis XVI est suspendu de ses fonctions, emprisonné avec sa famille, et la monarchie constitutionnelle s’effondre.

Le 21 septembre, la Convention nationale, fraîchement élue au suffrage universel masculin, se réunit. Le débat est intense, mais la conclusion évidente. Le 22 septembre 1792, la monarchie est abolie. La République est proclamée. Le roi est mort. Vive le peuple !

Malgré l’ampleur des changements, une partie de la population reste exclue de cette réinvention sociale : les femmes. Alors qu’Olympe de Gouges publie en 1791 sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, espérant une reconnaissance de l’égalité des sexes, les révolutionnaires ferment progressivement la porte aux revendications féministes. Les femmes, malgré leur engagement crucial dans les événements de 1789 à 1792, sont progressivement reléguées au second plan, exclues de la vie politique, victimes d’une révolution incomplète.

Valmy : une victoire qui sauve la Révolution

Mais cette République naissante vacille déjà sous la menace. Les monarchies européennes, horrifiées par l’idée que la Révolution puisse contaminer leurs propres royaumes, envoient leurs troupes pour écraser cette audacieuse tentative de liberté. C’est dans ce contexte que la France obtient une victoire inespérée à Valmy, le 20 septembre 1792, contre les armées prussiennes et autrichiennes.

Cette victoire n’est peut-être pas une grande bataille en termes de pertes humaines, mais elle représente bien plus. Le moral des troupes est regonflé. Les révolutionnaires sont galvanisés. La Révolution est sauvée. Goethe, témoin de la bataille, lâche une phrase prophétique : « De ce lieu et de ce jour date une ère nouvelle dans l’histoire du monde ». Tout est dit. Deux jours plus tard, la République est proclamée.

Le calendrier républicain : une tentative de dompter le temps

Mais la République ne se contente pas de renverser un roi et de résister aux armées ennemies. Elle veut réinventer la société, jusqu’au concept même de temps. Le calendrier grégorien, trop chrétien, trop monarchique, est jugé obsolète. Les révolutionnaires, dans une audace démesurée, adoptent le calendrier républicain rétroactivement à partir du 22 septembre 1792. Il est le fruit d’un travail collaboratif entre des poètes et des scientifiques. Son principal concepteur, Fabre d’Églantine, poète et révolutionnaire, épaulé par Charles-Gilbert Romme, un mathématicien et député, qui assure la rigueur scientifique et organisationnelle du projet, propose une réinvention du temps qui célèbre la nature et les cycles de la vie. En donnant des noms aux mois comme Vendémiaire pour les vendanges, Brumaire pour les brumes ou Frimaire pour le froid, ils entendent ancrer chaque moment de l’année dans une réalité tangible, loin des saints et des rois du calendrier grégorien. De surcroît, Adieu le dimanche, bonjour le décadi, le jour de repos républicain survient dorénavant tous les dix jours (quel progrès !). Ce calendrier n’entend donc pas être qu’un simple outil de mesure, mais une déclaration de guerre à tout ce qui est ancien

Une résistance culturelle : l'utopie révolutionnaire en danger

Le calendrier républicain, bien que novateur dans son ambition, se heurte à une réalité : les Français n’ont pas tous envie de révolutionner leur quotidien. Le passage à la semaine de dix jours perturbe les populations rurales, attachées à leurs traditions et à leur dimanche. La suppression des fêtes religieuses au profit de célébrations républicaines est perçue comme une attaque directe contre l’Église. Pour beaucoup, surtout dans les provinces, ce nouveau temps est une absurdité incompréhensible, une abstraction venue de Paris qui ne parle pas à leur réalité quotidienne.

La complexité administrative du nouveau système, basé sur une année divisée en douze mois de 30 jours avec cinq ou six jours complémentaires, crée des maux de tête dans les affaires civiles et commerciales. Le simple calcul du temps devient un casse-tête pour les citoyens. Et cette réinvention, censée incarner la raison, finit par ressembler à une utopie trop complexe pour être vécue au quotidien.

Quand la République fait trembler les monarchies européennes

À l’étranger, l’abolition de la monarchie et l’adoption du calendrier républicain n’effraient pas seulement les clergés, elles paniquent les cours européennes. L’idée que le peuple puisse se gouverner lui-même, abolir la monarchie et même redéfinir le temps, menace l’ordre monarchique international. Partout, les monarchies tremblent face à cette fièvre révolutionnaire qui pourrait déborder des frontières françaises.

Mais la République inspire aussi. Les idéaux de liberté et d’égalité diffusent à travers l’Europe et au-delà. Des mouvements révolutionnaires surgissent, aspirant à suivre l’exemple français, même si la réaction conservatrice, elle aussi, se renforce.

Napoléon et la fin du rêve républicain

Le calendrier républicain, tout comme l’utopie révolutionnaire, ne survivra pas longtemps. Napoléon Bonaparte, pragmatique, décide d’abandonner ce système devenu trop impopulaire et impraticable. Le calendrier grégorien est rétabli le 1er janvier 1806. Mais le rêve n’est pas complètement mort. En 1871, lors de la Commune de Paris, des révolutionnaires tentent brièvement de réintroduire le calendrier républicain. Un retour éphémère, mais symbolique, qui prouve que l’utopie révolutionnaire continue de hanter les esprits.


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