Pourquoi la Mandchourie ?

Parce que le Japon veut tout

Le 19 septembre 1931, tout bascule. L’armée japonaise lance une offensive armée massive contre la Chine. La veille, une petite explosion sur une voie ferrée en Mandchourie, orchestrée par les Japonais eux-mêmes, déclenche un ouragan qui dévastera l’Asie pendant les quinze prochaines années. Le général Kanji Ishiwara, un stratège sans scrupules, tire les ficelles en silence. L’incident de Moukden n’est qu’une mise en scène. Le Japon, avide de pouvoir et de ressources, se lance dans une conquête qui bouleversera l’ordre mondial. Tokyo pensait que tout était sous contrôle ? L’histoire, elle, se prépare à déraper.

Le Japon ne manque pas d’ambition. Depuis l’ère Meiji (1868-1912), il court après les ressources qu’il ne possède pas. La Mandchourie ? Un eldorado : du charbon, du fer, des terres à perte de vue. Depuis 1905, et la raclée infligée à la Russie, le Japon s’y est installé comme un vautour, surveillant chaque mètre carré. Mais en 1931, ça ne suffit plus. Il veut tout contrôler, car il sait que c’est ici que se joue son avenir impérial. C’est simple : sans la Mandchourie, pas de survie pour l’expansionnisme nippon.

Général Kanji Ishiwara

Le Mandchoukouo : l'illusion d’un État, le triomphe d'une dictature

Mars 1932, le Japon invente le Mandchoukouo, un État fantoche avec pour roi… Puyi, le dernier empereur de Chine, réduit au statut de pantin pathétique. Officiellement, il s’agit de ramener l’harmonie ethnique et la modernisation dans la région. Quelle blague. En réalité, le Mandchoukouo devient un laboratoire pour les rêves fascistes du Japon. Un terrain de jeu pour tester des politiques de contrôle total, d’exploitation sauvage et d’expériences abominables sur les humains – vous avez entendu parler de l’Unité 731, n’est-ce pas ?

PU YI
Puyi

Le Japon justifie cette mascarade par de grandes idées : la « Sphère de coprospérité de la Grande Asie orientale ». Une alliance pacifique entre les peuples asiatiques, disent-ils. La réalité ? Un empire fondé sur l’asservissement, la destruction et le pillage. Derrière chaque discours mielleux, c’est le visage de la brutalité qui se cache.

L'ordre mondial à genoux : la Société des Nations, cette farce

Pendant ce temps, à Genève, la Société des Nations s’agite. Elle condamne l’invasion. Elle dénonce le Japon. Et alors ? Rien. Le rapport Lytton, publié après des mois d’investigations, accuse Tokyo d’agression. Résultat : le Japon claque la porte de la SDN en 1933 et continue son petit bonhomme de chemin, armé jusqu’aux dents. L’ordre mondial est en miettes. Hitler et Mussolini regardent ça avec intérêt : c’est le signal qu’ils attendaient. S’il suffit de violer le droit international sans que personne ne bouge, alors pourquoi se gêner ? Toute ressemblance avec aujourd’hui n’est que pure coïncidence.

La Chine, l’humiliation et la colère

L’invasion de la Mandchourie en 1931 ? Une gifle monumentale pour la Chine. Depuis déjà un siècle, elle plie sous le joug des puissances étrangères, et Tchang Kaï-chek, trop occupé à se battre contre Mao et ses communistes, laisse la Mandchourie se faire dévorer par les Japonais. Une honte. La région tombe comme une feuille morte, sans combattre, et l’humiliation devient nationale.

Mais cette invasion, loin d’être un coup de grâce, réveillera finalement un dragon endormi. La colère gronde dans les cœurs. Nationalistes et communistes, ennemis jurés, enterrent la hache de guerre – temporairement. Ensemble, ils s’unissent pour lutter contre un ennemi commun : le Japon. L’alliance est fragile, oui, mais elle donne naissance à une résistance sans précédent.

Mao, lui, profite de l’occasion. Ses guérilleros, invisibles et insaisissables, harcèlent l’envahisseur dans les campagnes. La population voit en lui un héros, un sauveur. Cette guerre est sa guerre, et il en sortira grandi. À la fin de ce carnage, en 1945, la Chine est exsangue, mais le peuple n’a plus qu’un seul objectif : se libérer. L’invasion japonaise aura scellé l’avenir de la Chine. Quatre ans plus tard, Tchang Kaï-chek est balayé. Mao triomphe.

Le Mandchoukouo, laboratoire de l'horreur

Le Mandchoukouo, sous la botte japonaise, devient rapidement un cauchemar institutionnalisé. Officiellement, c’est un État moderne. En réalité, c’est un terrain de jeu morbide où le Japon teste ses théories les plus abjectes. La militarisation est totale : chaque village, chaque usine, chaque champ est soumis à l’exploitation intensive. Le Japon y construit des infrastructures, oui, mais pas pour le bien des locaux. Tout est pensé pour servir l’effort de guerre, et les populations locales, elles, sont réduites à l’état de force de travail. Un esclavage moderne, camouflé sous des promesses de développement.

Mais ce n’est qu’un début. Derrière les usines et les champs, dans l’ombre des montagnes de Mandchourie, l’Unité 731 s’installe. Ici, on ne parle plus de simples exactions militaires, mais d’un programme d’expérimentation biologique qui ferait frémir même les esprits les plus tordus. Cette unité, fondée par le docteur Shiro Ishii, est une usine à morts, mais d’une mort lente, méthodique, scientifique.

Des cobayes humains, majoritairement chinois, mais aussi russes, coréens et autres prisonniers de guerre, y sont soumis à des tortures innommables. On ne parle pas de simples exécutions. On parle de dissections sans anesthésie, d’inoculation de maladies comme la peste, le choléra ou l’anthrax, pour voir combien de temps ces corps peuvent résister avant de succomber. On leur brise les os, pour observer la régénération des fractures. On les brûle, on les gèle, on teste sur eux les limites du corps humain sous des conditions extrêmes.

Tout cela est réalisé sous le couvert de la science, pour préparer l’arme biologique ultime. On tue ici avec une précision clinique. Les victimes ne sont plus des hommes, mais des spécimens. Chaque vie sacrifiée sert une équation, une formule, un rapport froidement rédigé. Le Japon, avec l’Unité 731, franchit un point de non-retour dans l’horreur. L’historien Sheldon Harris a écrit que « les activités de l’Unité 731 ne sont pas seulement des crimes de guerre, ce sont des crimes contre l’humanité, des actes de barbarie rarement vus dans l’histoire moderne ».

Les survivants ? Il n’y en a presque pas. Les corps des cobayes sont éliminés, incinérés, effacés du monde comme si leur existence n’avait jamais eu lieu. Le Mandchoukouo devient ainsi le théâtre d’un génocide médical, où la science elle-même est pervertie pour servir des desseins inhumains.

Et ce qui rend cette horreur encore plus insoutenable, c’est que ces crimes resteront longtemps dans l’ombre. Après la guerre, plusieurs membres de l’Unité 731, y compris le sinistre Shiro Ishii, échapperont aux poursuites grâce à des négociations secrètes avec les États-Unis, désireux d’obtenir les résultats de ces expérimentations inhumaines pour leurs propres recherches. Cette impunité renforce l’amertume et le ressentiment des populations chinoises et coréennes, qui ont vu leurs proches disparaître dans les mains de médecins fous, et dont les souffrances n’ont même pas été reconnues à l’échelle internationale.

L’Union soviétique, l’ennemi silencieux

À l’horizon, une autre menace guette. L’Union soviétique, elle aussi, a des intérêts en Mandchourie. Et elle voit d’un mauvais œil cette expansion japonaise. Les tensions montent, et en 1939, elles explosent lors de la bataille de Khalkhin Gol. Les Soviétiques infligent une défaite cuisante au Japon, mais la Mandchourie reste un champ de bataille en suspens, prélude à de futurs conflits. Le Japon n’en sortira jamais indemne.

Le début de la fin : quinze ans de guerre

L’invasion de la Mandchourie est le premier acte d’un cauchemar qui va durer jusqu’en 1945. Le Japon, grisé par sa réussite en Mandchourie, s’enfonce dans une guerre totale contre la Chine en 1937. Puis, en 1941, il s’attaque aux États-Unis à Pearl Harbor. Quinze ans de violence, de massacres, de destruction. Quinze ans qui se terminent dans l’horreur absolue des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki.

L’invasion de la Mandchourie, c’est la chute d’un empire qui croyait pouvoir dominer l’Asie à coups de baïonnettes et de mensonges. Le Japon, en 1931, n’a pas seulement envahi une région riche en ressources. Il a précipité le monde dans une guerre totale, sapé les fondements de l’ordre international, et pavé la voie à la Seconde Guerre mondiale. Tout ça, pour quoi ? Pour finir en ruines, dévasté par ses propres excès.

Et le monde, lui, ne s’en remettra jamais vraiment.

Chronologie

1905 – Victoire du Japon dans la guerre russo-japonaise

Le Japon obtient une influence majeure en Mandchourie à la suite de sa victoire sur la Russie. Le contrôle partiel de la région lui permet d’exploiter certaines de ses ressources et d’étendre sa présence militaire.

1915 – Vingt et une demandes japonaises à la Chine

Le Japon impose une série de demandes à la Chine qui étendent son contrôle économique et politique sur la Mandchourie et la Mongolie intérieure, créant des tensions croissantes entre les deux pays.

1928 Juin 4 – Assassinat de Zhang Zuolin

Zhang Zuolin, seigneur de guerre mandchou qui contrôlait la région, est assassiné lors d’un attentat orchestré par l’armée japonaise du Guandong, cherchant à affaiblir la position chinoise en Mandchourie.

1931 Septembre 18 – Incident de Moukden

Le Japon orchestre un faux attentat contre sa propre voie ferrée près de Moukden (Shenyang). Cet incident est utilisé comme prétexte pour envahir la Mandchourie et accuser les forces chinoises de sabotage. Il tient en haleine l’opinion mondiale pendant de longues semaines, avant d’être totalement occulté. Il marque cependant selon certains historiens, le début de la seconde guerre mondiale.

1931 Septembre 19 – Début de l’invasion de la Mandchourie

L’armée japonaise du Guandong lance une offensive massive et occupe rapidement Moukden. Les forces chinoises, mal préparées et désorganisées, ne peuvent opposer qu’une faible résistance. Plus de 200,000 soldats japonais sont mobilisés au début de l’ opération pour atteindre le chiffre maximal impressionnant de 700,000 au plus fort du conflit.

1931 Novembre 20 – La Chine appelle à l’aide la Société des Nations

Face à l’invasion japonaise, le gouvernement chinois fait appel à la SDN pour arbitrer le conflit. La SDN envoie une commission d’enquête en Mandchourie.

1932 Février – Prise de Harbin

L’armée japonaise achève sa conquête de la Mandchourie en s’emparant de la ville de Harbin. La totalité de la région est désormais sous contrôle japonais.

1932 Mars – Création de l’État fantoche du Mandchoukouo

Le Japon proclame la création du Mandchoukouo sous le règne symbolique de Puyi, dernier empereur de Chine. Sa population est alors estimée entre 30 à 35 millions d’habitants. En réalité, l’État est totalement contrôlé par les autorités japonaises et sert de base à l’exploitation des ressources naturelles de la région.

1932 Octobre – Rapport Lytton de la Société des Nations

La commission Lytton, envoyée par la SDN, conclut que le Japon est l’agresseur et que le Mandchoukouo est un État fantoche. Le rapport recommande de rendre la Mandchourie à la Chine, mais aucune action concrète n’est prise.

1933 Mars – Retrait du Japon de la Société des Nations

En réaction au rapport Lytton et à la condamnation internationale, le Japon quitte la SDN, isolant ainsi encore davantage son régime militariste et expansionniste du reste du monde.

1933 Mai- Début des travaux de l’Unité 731

Shiro Ishii, médecin militaire japonais, met en place l’Unité 731 en Mandchourie pour conduire des expériences biologiques sur des prisonniers chinois, russes et coréens, prélude aux horreurs à venir.

1935 Novembre – Traité de He-Umezu

Un accord signé entre le gouvernement chinois et le Japon accorde à ce dernier des droits militaires et économiques étendus dans le nord de la Chine, affaiblissant encore la position chinoise.

1936 Décembre – Incident de Xi’an

Zhang Xueliang, ancien chef militaire de Mandchourie, capture Tchang Kaï-chek et le force à accepter une trêve avec les communistes afin de se concentrer sur la lutte contre les Japonais.

1937 Juillet 7 – Début de la Seconde Guerre sino-japonaise

L’invasion de la Mandchourie sert de prélude à une guerre totale entre le Japon et la Chine, déclenchée par l’incident du pont Marco Polo. Cette guerre s’étend et devient partie intégrante de la Seconde Guerre mondiale en Asie.

1939 Mai – Bataille de Khalkhin Gol

Les tensions entre le Japon et l’Union soviétique atteignent leur apogée avec la bataille de Khalkhin Gol. Les troupes soviétiques, sous la direction de Georgi Joukov, infligent une défaite écrasante aux forces japonaises, ce qui met fin à toute tentative d’expansion vers la Sibérie.

1940 Juillet – Le Mandchoukouo devient un centre industriel militaire

Le Japon transforme le Mandchoukouo en une base industrielle majeure pour soutenir son effort de guerre, en exploitant les ressources naturelles de la région et en utilisant des travailleurs forcés.

1941 Juillet – Pacte de neutralité entre le Japon et l’Union soviétique

Le Japon et l’Union soviétique signent un pacte de neutralité, garantissant que ni l’un ni l’autre n’interviendront dans les conflits respectifs du Pacifique et en Europe. Le Japon se concentre ainsi sur sa guerre contre la Chine et la conquête du Pacifique, tout en maintenant sa domination sur la Mandchourie.

1942 – Utilisation massive du Mandchoukouo pour les expériences de l’Unité 731

L’Unité 731, dirigée par Shiro Ishii, intensifie ses expériences inhumaines sur des prisonniers en Mandchourie, testant des armes biologiques et des maladies infectieuses sur des cobayes humains. Les découvertes sont destinées à être utilisées sur les champs de bataille asiatiques. Au total, cette unité sera responsable de la mort de 3 000 à 12 000 personnes, selon les sources, sans compter les centaines de milliers de personnes victimes de la dissémination délibérée d’agents pathogènes dans des régions chinoises occupées.

1943 Janvier – Intensification de la résistance chinoise et des opérations de guérilla

Les forces chinoises, tant nationalistes que communistes, mènent de plus en plus d’opérations de guérilla en Mandchourie contre les troupes japonaises. Ces actions visent à saboter les infrastructures militaires et industrielles japonaises dans la région.

1944 Juin – Opérations américaines de renseignement en Mandchourie

Les États-Unis commencent à collecter des informations sur l’activité japonaise en Mandchourie, en prévision de futurs affrontements dans le Pacifique. Le Mandchoukouo est identifié comme un centre stratégique d’approvisionnement pour l’armée japonaise.

1945 Juin – Effondrement des défenses japonaises en Mandchourie

Avec la guerre qui tourne en faveur des Alliés dans le Pacifique et l’Europe, les défenses japonaises en Mandchourie commencent à s’effondrer sous la pression combinée des attaques américaines dans le Pacifique et des infiltrations chinoises.

1945 Août 9 – Lancement de l’invasion soviétique de la Mandchourie

Dans le cadre des accords de Yalta et après la défaite de l’Allemagne, l’Union soviétique envahit la Mandchourie, rompant le pacte de neutralité avec le Japon. Les troupes soviétiques progressent rapidement, anéantissant l’armée du Guandong en quelques jours.

1945 Août 15 – Défaite du Japon et fin de la Seconde Guerre mondiale

Après des années de guerre sanglante, l’Empire japonais capitule à la suite des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, et de l’invasion soviétique de la Mandchourie. La région est récupérée par la Chine communiste, et l’occupation japonaise prend fin définitivement.

Vidéo


Pour en savoir plus

« ISHIWARA : L’homme qui déclencha la guerre » de Bruno Birolli est permet de comprendre le rôle déterminant de Kanji Ishiwara dans l’invasion de la Mandchourie. Birolli, historien et spécialiste du Japon, y retrace son parcours, explorant en profondeur sa vision stratégique et son rôle dans le déclenchement de cette guerre.

Entretien avec Bruno Birolli sur « l’incident de Moukden » 


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