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ToggleLa plus grande muraille de Chine ? non d'Afrique
un monument hors norme
Quand on évoque les grandes murailles de l’Histoire, un seul nom vient à l’esprit : celui de la Chine. Pourtant, au cœur de ce qui est aujourd’hui le Nigeria, se dressait une structure si colossale qu’elle éclipse, par sa longueur totale, sa célèbre consœur asiatique. Les Murailles du Bénin, ou Iya en langue Edo, dont la construction a débuté vers l’an 800 de notre ère, ne sont pas seulement une prouesse d’ingénierie ; elles sont le témoignage silencieux d’un royaume africain sophistiqué, dont l’héritage a été méthodiquement effacé.
Je vous propose de découvrir ce monument exceptionnel, aujourd’hui grandement disparu, non pas comme une simple ruine, mais comme un acteur central de l’histoire nigériane et mondiale.
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🎯 Faire le quiz maintenantDémesure Africaine : anatomie d'un géant de Terre
Loin de l’image d’une muraille unique et continue, le système défensif du Bénin était une toile d’araignée monumentale.
Un réseau, pas un mur
Il faut se représenter un ensemble complexe de remparts de terre et de tranchées sèches interconnectés, formant une mosaïque défensive. Le cœur de ce réseau était la muraille intérieure, protégeant la capitale, Benin City, siège du pouvoir de l’Oba (le roi-dieu). Autour, un labyrinthe de plus de 500 murailles communautaires s’étendait, protégeant des dizaines de villes et villages.
Des chiffres qui défient l’entendement
Les estimations des chercheurs, notamment celles de l’archéologue britannique Patrick Darling, donnent le vertige. La longueur cumulée de cet ensemble est évaluée entre 13,000 et 16,000 kilomètres, selon les méthodes de mesure. La technique utilisée : creuser un fossé profond, puis ériger un rempart massif à partir de la terre extraite. Cette double barrière pouvait atteindre une hauteur combinée de plus de 18 mètres.
Débats au sein de la recherche
La datation
Les premières constructions des murailles du Bénin remontent, selon la majorité des archéologues, à environ 800 après J.-C., sur la base de datations au radiocarbone et d’analyses stratigraphiques. Les travaux de Graham Connah et Patrick Darling situent les débuts des terrassements majeurs autour du IXᵉ siècle, bien que certains chercheurs évoquent une fourchette légèrement plus large, entre le VIIIᵉ et le Xᵉ siècle.
L’ensemble ne fut pas édifié d’un seul tenant : il s’agit d’un chantier multiséculaire, évolutif, dont les extensions ont suivi l’expansion du royaume. Si les plus grandes phases de construction semblent s’être concentrées entre les XIIIᵉ et XVIIᵉ siècles, des travaux d’entretien, de rénovation et d’adaptation locale sont attestés jusqu’au XIXᵉ siècle, notamment autour des centres secondaires.
La fonction des fossés
La fonction de ces fossés reste également objet de débats. Si leur usage défensif est le plus évident et le mieux documenté, plusieurs études ont suggéré qu’ils servaient aussi à la gestion des eaux de pluie, à la protection des cultures contre les animaux sauvages, et à la délimitation rituelle ou symbolique de l’espace politique et sacré. Ces usages multiples ne s’excluent pas, et il est probable que leur signification ait varié selon les lieux et les époques.
Plus qu'une forteresse : le cœur battant d'un Royaume
Mais cette prouesse architecturale n’était pas qu’une simple forteresse. Elles étaient le squelette sur lequel reposait l’organisation même du Royaume du Bénin, l’un des plus anciens et des plus puissants d’Afrique de l’Ouest.
Le symbole d’un pouvoir centralisé
L’édification d’un tel ouvrage témoigne d’une organisation sociale et politique extraordinairement avancée. Elle nécessitait une mobilisation massive de main-d’œuvre, une planification sur des générations et une autorité incontestée, celle de l’Oba. Les murailles matérialisaient la puissance du royaume et sa capacité à façonner son environnement.
Une frontière entre deux mondes
Agbado
L’espace domestiqué, civilisé et sécurisé de la cité. Le royaume de l’ordre, de la société et des lois de l'Oba.
Ogun
Le monde sauvage, indompté et imprévisible de la forêt. Le domaine des esprits de la nature, du chaos et de l'inconnu.
Franchir la muraille pour entrer dans la cité n’était donc pas seulement un acte physique, mais un passage symbolique du chaos vers l’ordre.
Une métropole conçue avec une logique mathématique
Loin d’être un simple assemblage de bâtiments, Benin City était l’une des cités les mieux planifiées au monde. Son plan suivait une conception d’une grande rigueur, où des motifs s’emboîtaient et se répétaient intelligemment à différentes échelles, des chambres individuelles aux quartiers entiers, créant un ensemble harmonieux et parfaitement organisé.
Les visiteurs européens étaient stupéfaits. Depuis le palais de l’Oba partaient une trentaine de rues droites et larges, dotées d’un système de drainage souterrain pour les eaux de pluie. Le visiteur hollandais Olfert Dapper notait au XVIIe siècle que les maisons étaient alignées « en bon ordre », leurs murs d’argile rouge « polis et brillants comme un miroir ». Chaque demeure possédait son propre puits, et la ville fut l’une des premières au monde à bénéficier d’un éclairage public : de grandes lampes en métal, alimentées à l’huile de palme, illuminaient les rues la nuit. Les neuf portes monumentales, fermées chaque soir, n’étaient pas seulement des points de passage, mais des centres économiques où des péages étaient perçus, contribuant à la richesse d’une cité décrite comme étant libre de crime et de faim.
Une mégapole précoloniale
À son apogée, la population de Benin City était si importante que de nombreuses sources la classent parmi les plus grandes et les plus sophistiquées cités du monde de l'époque.
Le grand effacement : conquête et amnésie
Pourtant, cet ordre remarquable qui avait fasciné les premiers visiteurs européens allait être brutalement anéanti. La destruction de Benin City en 1897 ne fut pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Si le royaume conservait sa souveraineté et une organisation remarquable, il n’était plus à l’apogée de sa puissance.
Depuis le XVe siècle, des conflits de succession internes et l’impact déstabilisateur de la traite négrière à ses frontières avaient progressivement érodé sa cohésion. À la fin du XIXe siècle, la pression économique croissante de l‘Empire britannique, déterminé à briser le monopole commercial de l’Oba, avait transformé ces tensions en un conflit ouvert. L’expédition de 1897 fut donc le catalyseur qui précipita la chute d’un royaume déjà vulnérable.
1897 : L’assaut qui a tout brisé
L’expédition fut lancée en représailles à la mort du consul James Phillips, tué lors d’une embuscade alors qu’il menait une mission commerciale non autorisée. L’objectif réel était clair : anéantir un pouvoir encore souverain. En détruisant les murailles et en pillant les Bronzes du Bénin (dont les magnifiques têtes d’Oba), les forces coloniales effaçaient les repères d’un royaume puissant.
Et ces trésors étaient des chefs-d’œuvre d’une valeur inestimable. L’expert Felix von Luschan écrivit à leur sujet que « Benvenuto Cellini n’aurait pas pu mieux les fondre », soulignant une maîtrise technique au sommet de l’art mondial. En s’emparant de ces œuvres tout en qualifiant leurs créateurs de « primitifs », le récit colonial révélait toute sa contradiction.
L’érosion du temps et des mémoires
Le climat équatorial a fait le reste. Les pluies torrentielles ont lentement érodé les remparts de terre. Plus grave encore, l’histoire de cette merveille a été occultée par le récit colonial, qui préférait dépeindre une Afrique sans histoire ni grandes réalisations.
L’ironie est amère, car ce récit contredisait les témoignages des premiers visiteurs européens. Au XVIIe siècle, l’un d’eux décrivait une Benin City si sûre que « le vol y est inconnu », tandis que Londres à la même époque était un foyer de « meurtre et de corruption ». Cette contradiction culmine aujourd’hui : comme le souligne l’écrivain Mawuna Koutonin, pour admirer les trésors de cette civilisation anéantie au nom du « progrès », il faut se rendre… au British Museum.
Faire parler la terre : la renaissance d'un héritage
Face à cet héritage dispersé et à cette histoire effacée, le XXIe siècle voit naître un mouvement de réappropriation puissant, porté par des universitaires, des artistes et des communautés locales qui refusent de laisser leur patrimoine disparaître.
« Ce ne sont pas des ruines, c’est notre ADN »
Héritage en péril : la lutte pour la mémoire
Défis Actuels
Une structure devenue dépotoir
L'abandon a transformé des sections des anciennes fortifications en décharges publiques, un symbole poignant de la perte de fonction et de respect.
« Ce qui était une structure défensive est devenu un dépotoir… »
L'urbanisation galopante
L'expansion de Benin City est la plus grande menace, grignotant et détruisant les vestiges des remparts pour faire place à de nouvelles constructions.
Espoirs pour l'Avenir
Restitution et réparation spirituelle
La lutte pour les murailles est liée au retour des "Bronzes du Bénin". Pour l'Oba Ewuare II et les conservateurs, ce retour est un acte essentiel pour guérir les blessures du passé.
« Chaque objet est un "ancêtre en captivité". »
L'archéologie du futur
La technologie LiDAR permet de cartographier les vestiges avec une précision inégalée, une course contre la montre pour sauvegarder numériquement ce patrimoine et envisager un avenir touristique.
Un récit en pleine écriture
L’histoire des Murailles du Bénin n’est heureusement pas un chapitre clos. C’est un récit qui s’écrit aujourd’hui, dans les laboratoires des archéologues, mais aussi dans les couloirs des musées européens. Signe que les temps changent, plusieurs pays comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas ont commencé à restituer les Bronzes du Bénin, reconnaissant la légitimité de la demande nigériane. Cette dynamique de restitution, couplée aux efforts de redécouverte sur le terrain, est un impératif pour une compréhension plus juste de l’histoire universelle. En écoutant les voix qui se battent pour ce patrimoine, nous ne faisons pas que corriger une injustice ; nous participons à la reconstitution d’un pan entier du génie humain.
Un héritage dispersé à travers le monde
Le pillage du palais royal de Benin City en 1897 a entraîné la dispersion de milliers d'objets d'art. Le projet "Digital Benin", qui a entrepris de créer l'inventaire le plus complet à ce jour, donne une idée de l'ampleur de cette dispersion.
Principales collections identifiées :
Royaume-Uni
Le British Museum à Londres détient la plus grande et la plus importante collection de Bronzes du Bénin au monde.
Allemagne
De nombreux musées, notamment à Berlin, Hambourg et Leipzig, possèdent des collections majeures, bien qu'un processus de restitution soit en cours.
États-Unis
Plusieurs institutions américaines, dont des musées universitaires et nationaux, détiennent également des centaines d'artefacts.
Cependant, ce nombre diminue (lentement) grâce aux efforts de restitution.
Un mouvement de restitution historique
Signe que les temps changent, plusieurs pays européens ont commencé à restituer les Bronzes du Bénin pillés en 1897, reconnaissant la légitimité de la demande nigériane.
Allemagne
En 2022, l'Allemagne a signé un accord historique transférant la propriété de plus de 1 100 objets au Nigeria et a commencé les retours physiques.
France
Suite à un engagement présidentiel, la France a officiellement restitué 26 trésors royaux du Dahomey (dont certains du Bénin) en 2021.
Pays-Bas
Le gouvernement néerlandais a approuvé la restitution de tous les objets pillés de sa collection nationale, retournant un premier lot de 119 pièces.
Chronologie : une construction sur 7 siècles
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~800 apr. J.-C. –
Début de la construction des premiers terrassements et fossés par les peuples Edo. C’est le commencement d’un projet qui s’étalera sur plusieurs siècles.
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~ XIIIe siècle –
Première phase d’expansion majeure des murailles, traditionnellement attribuée à l’Oba Oguola (r. ~1280–1295), qui aurait ordonné la construction de la première grande enceinte autour de la ville.
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1440 –
Début du règne de l’Oba Ewuare le Grand (r. ~1440–1473). Considéré comme le plus grand bâtisseur du royaume, il renforce et étend considérablement les murailles pour protéger son empire en plein essor.
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1485 –
Le navigateur portugais João Afonso de Aveiro est le premier Européen à établir un contact durable avec le Royaume du Bénin, inaugurant une période d’échanges commerciaux et diplomatiques.
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~1600 –
Benin City atteint son apogée démographique. Les estimations la placent parmi les plus grandes villes du monde, avec jusqu’à 400,000 habitants et une structure sociale très organisée.
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1691 –
Le capitaine portugais Lourenço Pinto décrit Benin City comme « plus grande que Lisbonne », admirant sa sécurité, son urbanisme et son administration.
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Janvier 1897 –
« L’incident Phillips » : une délégation britannique tente d’entrer dans la ville durant une période sacrée. L’ambuscade qui s’ensuit servira de prétexte à l’expédition punitive.
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Février 1897 –
Sous l’Oba Ovonramwen (r. ~1888–1897), Benin City est prise d’assaut par l’armée britannique dirigée par Sir Harry Rawson. La ville est incendiée, les Bronzes pillés, les murailles abandonnées. Fin de l’indépendance du royaume.
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Années 1970 –
L’archéologue Patrick Darling mène des recherches majeures et cartographie une grande partie du réseau des murailles, révélant leur ampleur au grand public.
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1995 –
Les Murailles du Bénin sont inscrites sur la liste indicative de l’UNESCO. C’est la première étape vers une reconnaissance au patrimoine mondial.
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Années 2010 –
Le mouvement mondial pour la restitution des Bronzes du Bénin relance l’intérêt pour l’histoire du royaume et pour la préservation de son patrimoine architectural.
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Aujourd’hui –
Des institutions comme le MOWAA utilisent des technologies comme le LiDAR pour cartographier les vestiges menacés. C’est une course contre l’urbanisation pour sauver ce monument de la mémoire africaine.
Ce qu'il faut retenir
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Les Murailles du Bénin, construites dès 800 après J.-C., formaient un réseau monumental de 13,000 à 16,000 km, dépassant la Grande Muraille de Chine (tronçon Ming), dont la longueur est estimée à 8,850 km. (1)
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Ce système défensif complexe structura le territoire pendant des siècles, avec des fonctions à la fois militaires, sociales, hydrauliques et symboliques.
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Leur construction reflète un pouvoir centralisé, une organisation politique sophistiquée et une vision du monde articulée entre ordre et nature sauvage.
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À son apogée, Benin City aurait compté entre 100,000 et 400,000 habitants, ce qui en ferait l’une des plus grandes cités du monde précolonial.
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L’expédition britannique de 1897, dirigée par Sir Harry Rawson, frappe un royaume déjà sous tension et anéantit la capitale, pille les Bronzes du Bénin, et amorce un effacement historique au service du récit colonial.
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Aujourd’hui, des chercheurs nigérians, appuyés par la technologie LiDAR, œuvrent à la réhabilitation de ce patrimoine, dans une dynamique globale de restitution et de mémoire retrouvée.
(1) La Chine a réévalué la longueur de sa muraille à environ 21,000 km en 2012, en incluant tous les tronçons historiques, fossés et fortifications secondaires.
Vidéo
Cette première vidéo propose une synthèse vulgarisée fidèle à l’état actuel de la recherche sur les murailles du Bénin. Quelques chiffres et interprétations (longueur totale, population, rôle dans la traite négrière) sont sujets à débat parmi les spécialistes et doivent être pris avec nuance.
Pour en savoir plus
Liste du patrimoine mondial de l’Unesco par pays & dossier d’inscription des Murailles du Bénin sur la liste indicative de l’UNESCO
Voici le lien vers le chapitre de Graham Connah, Archaeology and the History of Early States in the Western Sudan, ainsi que vers son ouvrage de synthèse African Civilizations: An Archaeological Perspective (2e édition, 2001)
- Graham Connah, Archaeology and the History of Early States in the Western Sudan :
https://www.cambridge.org/eng/academic/subjects/archaeology/archaeological-theory-and-methods/archaeology-and-history-early-states-western-sudan (page de présentation, accès au chapitre via achat ou bibliothèque) - Graham Connah, African Civilizations: An Archaeological Perspective (2e éd., 2001) :
https://www.cambridge.org/academic/subjects/archaeology/archaeological-theory-and-methods/african-civilizations-archaeological-perspective-2nd-edition (page de l’ouvrage, achat ou consultation en bibliothèque)
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