Thématiques
ToggleLa Présidence Trump en 2025 - Episode 1 :
La concentration du pouvoir : la méthode Trump à l'épreuve de l'histoire
« À partir de cet instant, le déclin de l’Amérique est terminé. Nos libertés et le glorieux destin de notre nation ne seront plus jamais niés. Et nous allons immédiatement restaurer l’intégrité, la compétence et la loyauté du gouvernement américain. », déclarait Donald Trump lors de son discours sur l’état de l’Union le 4 mars dernier.
Cette déclaration synthétise la tonalité volontariste et le message central du discours : la promesse d’un renouveau national et d’un retour à la grandeur américaine.
Face à l'ampleur des transformations observées en à peine un trimestre, j'ai structuré cette analyse en sept articles thématiques. Cette organisation permettra je l'espère d'offrir une lecture accessible d'une réalité complexe tout en approfondissant chaque dimension de cette présidence transformatrice.
Une présidence transformatrice
Dès les premiers jours de ce second mandat, le style de Donald Trump s’est imposé par son imprévisibilité et sa brutalité. Il gouverne par décrets, multiplie les volte-face et impose une logique du rapport de force, sans boussole politique apparente. Cette gouvernance impulsive, souvent relayée par des tweets ou des messages sur les réseaux sociaux, plonge l’appareil d’État et la société dans une incertitude permanente
20 janvier – 20 avril 2025 : en trois mois, Trump n’a pas seulement repris le pouvoir, il a commencé à le refondre. Ce trimestre pourrait bien marquer le basculement d’un système vers un autre. Sur la scène internationale, ces évolutions sont susceptibles de transformer en profondeur le monde à un moment où le modèle américain continue d’exercer une influence déterminante. Nous pouvons sur cette période dresser quelques constats forts :
Ainsi, dès son premier jour, Trump a gracié 1,500 personnes condamnées pour l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, envoyant un signal d’impunité. Il a refusé de se soumettre à des injonctions judiciaires, déclarant que « Celui qui sauve son pays ne viole aucune loi ». Plus de 70 procès pour violations de la loi sont déjà engagés contre son administration en quelques semaines. Le rapport V-Dem 2025 alerte d’ailleurs sur une « accélération extrêmement préoccupante de l’autocratisation » des États-Unis, marquant une rupture institutionnelle majeure.
Une présidence qui parle fort, et frappe vite
Ce qui marque aussi cette nouvelle présidence, c’est la puissance du langage. Trump ne gouverne pas seulement avec des décrets ou des nominations. Il gouverne avec des mots. Et ces mots, répétés en boucle, simplifiés à l’extrême, deviennent des armes. Ils servent à mobiliser les soutiens, à diviser les opposants, mais aussi à imposer une version unique de la réalité.
Certains chercheurs parlent d’« autoritarisme cognitif » : un pouvoir qui agit sur notre manière même de comprendre le monde. Ce n’est plus un débat entre points de vue différents. C’est un récit imposé d’en haut, dans lequel les journalistes sont des ennemis, les experts des obstacles, et le « bon sens du peuple » la seule vérité.
La personnalisation du pouvoir atteint un niveau inédit, le président n’hésitant pas à mettre en avant ses préférences personnelles – jusqu’à faire du débit d’eau dans les douches un enjeu politique, au nom de ses « cheveux magnifiques » (oui vous avez bien lu). Mar-a-Lago s’est imposé comme le véritable centre du pouvoir, où se nouent alliances, deals et décisions majeures, reléguant la Maison Blanche à un simple décor institutionnel.
Dans ce contexte, la parole présidentielle prend un pouvoir démesuré. Elle remplace les faits par l’adhésion émotionnelle. Et cette adhésion, souvent obtenue par le choc ou la peur, vient fragiliser les fondations du débat démocratique. La communication présidentielle, désormais centralisée autour des réseaux sociaux, s’est transformée en un outil de gouvernement à part entière. Les décisions majeures, parfois annoncées sur un coup de tête, sont relayées en direct, court-circuitant les circuits institutionnels traditionnels et accentuant la volatilité du climat politique.
Les cycles historiques de la démocratie américaine
Pour comprendre la spécificité du moment que traversent les États-Unis, je vous propose de replacer ces évolutions dans le temps long de l’histoire américaine. La tension entre pouvoir exécutif et contre-pouvoirs institutionnels n’est pas nouvelle ; elle constitue même l’un des fils conducteurs du système politique américain depuis sa fondation.
L’histoire américaine est en effet rythmée par des cycles d’expansion et de contraction du pouvoir présidentiel, souvent en réponse à des crises ou des transformations sociales profondes. Quatre périodes offrent des parallèles particulièrement éclairants avec la situation actuelle.
L'ère jacksonienne (1828-1836) : premier populisme présidentiel
Andrew Jackson, souvent cité comme référence par Donald Trump lui-même, incarnait déjà une forme de populisme présidentiel vigoureux. Élu sur la promesse de représenter « l’homme ordinaire » contre les élites établies, Jackson a transformé la présidence en établissant un lien direct avec le peuple pour contourner les institutions intermédiaires.
Il a introduit dans la culture politique américaine l’idée puissante que le président, en tant qu’unique représentant élu par l’ensemble de la nation, possède une légitimité supérieure aux autres institutions. Cette conception, que les historiens ont nommée la « présidence plébiscitaire », trouve un écho remarquable dans la rhétorique trumpienne actuelle.
Sa présidence a été marquée par:
- Des affrontements directs et sans compromis avec la Cour Suprême
- Un usage extensif et stratégique du veto présidentiel
- Un système de patronage politique systématique
- Une rhétorique anti-élites et anti-intellectuelle percutante
L'ère progressiste et la présidence de Theodore Roosevelt (1901-1909)
Au début du 20ème siècle, Theodore Roosevelt a considérablement étendu les pouvoirs présidentiels face aux défis de l’industrialisation rapide et à la montée des grandes corporations. Sa conception de la « présidence comme porte-parole du peuple » a établi un précédent d’activisme exécutif qui résonne jusqu’à nos jours.
Roosevelt considérait que le président devait utiliser « tous les pouvoirs que la Constitution ne lui interdisait pas explicitement » – une vision qui fait directement écho à la doctrine actuelle de l’exécutif unitaire défendue par l’administration Trump.
La différence fondamentale réside dans les objectifs: Roosevelt cherchait à étendre le pouvoir fédéral pour réguler les grandes entreprises, là où Trump vise à le concentrer pour le réduire dans certains domaines spécifiques.
Les parallèles incluent:
- L’usage stratégique de pouvoirs exécutifs pour contourner un Congrès récalcitrant
- La personnalisation du pouvoir et le développement d’un lien direct avec l’opinion publique
- L’affirmation d’un pouvoir discrétionnaire dans l’application des lois
Le maccarthysme et la guerre froide (1950-1954)
La période du maccarthysme offre un parallèle saisissant non par l’expansion du pouvoir présidentiel, mais par le mécanisme de polarisation sociale et politique qu’elle a engendré. Sans être lui-même président, le sénateur McCarthy a démontré comment une rhétorique de division, fondée sur la désignation d’ennemis intérieurs, pouvait transformer le débat public américain.
Cette période a montré comment, dans un contexte de peur et d’incertitude, les mécanismes institutionnels de protection des libertés pouvaient être rapidement érodés avec un soutien populaire significatif.
Les similitudes avec la période actuelle sont frappantes:
- La disqualification systématique des opposants comme « anti-américains »
- L’utilisation efficace de la peur comme instrument de mobilisation politique
- L’instauration d’un climat où la loyauté prime sur la vérité factuelle
- Le ciblage délibéré d’institutions culturelles et éducatives
La présidence Nixon et la théorie de l'exécutif unitaire (1969-1974)
Richard Nixon représente peut-être le précédent le plus direct de concentration du pouvoir exécutif dans l’histoire récente. Sa présidence a été marquée par une théorisation explicite du pouvoir présidentiel comme étant au-dessus des contraintes légales ordinaires.
La célèbre déclaration de Nixon :
« Quand le président le fait, cela signifie que ce n’est pas illégal » – trouve des échos troublants dans certaines affirmations contemporaines sur l’immunité présidentielle.
La présidence Nixon a culminé dans le scandale du Watergate, démontrant la résilience des institutions américaines face aux abus de pouvoir exécutif. Cependant, les garde-fous qui ont fonctionné à l’époque (médias indépendants, fonctionnaires intègres, consensus bipartisan sur certaines normes) semblent aujourd’hui considérablement affaiblis.
Les parallèles incluent:
- L’utilisation d’agences fédérales pour cibler des opposants politiques
- La conception d’un privilège exécutif étendu face aux enquêtes du Congrès
- La remise en question de l’indépendance du Département de la Justice
- L’affirmation d’un pouvoir présidentiel presque illimité en matière de sécurité nationale
Les tensions constitutionnelles comme fil conducteur de l’histoire américaine
L’Amérique n’a jamais été cette démocratie idyllique que ses manuels scolaires s’obstinent à décrire. Son histoire politique s’apparente davantage à une longue suite de crises existentielles qu’à un chemin paisible vers la perfection démocratique. Comme une adolescente tourmentée qui ne saurait décider de sa véritable identité, la République américaine oscille depuis sa naissance entre deux conceptions antagonistes du pouvoir.
D’un côté se dresse l’idéal jeffersonien, avec ses contre-pouvoirs minutieusement agencés, ses débats interminables, et sa méfiance systématique envers toute concentration d’autorité. De l’autre s’impose périodiquement la vision hamiltonienne, celle d’un exécutif puissant capable de trancher dans le vif des problèmes sans s’embarrasser des lenteurs délibératives. Cette dichotomie fondamentale est bien documentée par les historiens constitutionnels comme Bruce Ackerman et Stephen Skowronek.
Cette tension, inscrite dans l’ADN même de la Constitution, n’a jamais trouvé de résolution définitive. Chaque génération américaine la rejoue à sa façon, comme si le pays était condamné à répéter éternellement le même débat fondateur. Selon l’historien Arthur Schlesinger Jr., les périodes de crise – guerre, dépression économique, menace externe – voient invariablement le pendule osciller vers la concentration du pouvoir, avant qu’un retour de balancier ne vienne rétablir l’équilibre des pouvoirs.
Ce qui fascine l’observateur contemporain, c’est moins cette oscillation prévisible que la capacité du système à absorber ces secousses sans se briser. Jusqu’à présent, du moins.
Pour comprendre le moment actuel, il est également instructif d’examiner comment d’autres démocraties ont géré cette même tension. En Europe occidentale, les systèmes parlementaires ont généralement privilégié la délibération et le consensus, tandis qu’en Amérique latine, les systèmes présidentiels forts ont souvent glissé vers l’autoritarisme. Une étude comparative de Juan Linz montre que sur 30 démocraties présidentielles analysées au 20ème siècle, 24 ont connu au moins une rupture démocratique significative.
La spécificité de la concentration du pouvoir sous Trump
Si la tension entre pouvoir exécutif et contre-pouvoirs est une constante de l’histoire américaine, la situation actuelle présente néanmoins quatre caractéristiques qui la distinguent radicalement des précédents historiques. Ces particularités méritent d’être examinées tant du point de vue critique que dans la perspective des partisans de cette transformation.
Une stratégie systémique, pas une réponse à une crise
Contrairement aux expansions précédentes du pouvoir présidentiel, qui répondaient généralement à des crises spécifiques (guerre civile, Grande Dépression, attentats du 11 septembre), la concentration actuelle du pouvoir n’est pas justifiée par une urgence nationale particulière. Selon la politologue Yascha Mounk, elle constitue plutôt un projet politique délibéré de transformation de l’architecture institutionnelle américaine.
Le Project 2025, élaboré par la Heritage Foundation et largement mis en œuvre depuis janvier, illustre cette approche systématique. Ce plan de 920 pages détaille une transformation complète de l’État fédéral visant à concentrer le pouvoir décisionnel dans l’exécutif tout en réduisant drastiquement la taille et les prérogatives de l’administration. Les défenseurs de cette approche, comme John Eastman, arguent qu’il s’agit en réalité d’une « restauration constitutionnelle » nécessaire après des décennies d’expansion de l’État administratif que les Pères fondateurs n’auraient jamais envisagé. Selon cette vision, ce n’est pas l’absence de crise qui est remarquable, mais plutôt l’identification d’une crise constitutionnelle de longue durée qui nécessite enfin une correction.
L’affaiblissement simultané de tous les contre-pouvoirs
La stratégie de la présidence Trump se distingue par son caractère multidimensionnel : là où les expansions passées du pouvoir exécutif ciblaient un secteur précis, l’approche actuelle vise simultanément la justice, les médias, la fonction publique, l’université et la culture, ne laissant aucun contre-pouvoir intact
Cette méthode rappelle les pratiques observées en Hongrie sous Viktor Orbán, où la reconfiguration simultanée des institutions a entraîné un recul rapide de la démocratie. Depuis 2010, le gouvernement Orbán a systématiquement affaibli l’indépendance de la justice, restreint la liberté des médias et placé les universités sous contrôle politique, transformant progressivement le pays en démocratie dite illibérale. Selon Freedom House, ces réformes ont entraîné une chute de 23 points de la Hongrie sur l’indice de démocratie en dix ans, illustrant l’impact profond d’une telle stratégie sur l’État de droit et les libertés fondamentales. Ce cas hongrois et le basculement américain s’inscrit dans une tendance globale d’érosion des démocraties, illustrées aussi par l’Inde de Modi ou Israël sous Netanyahou. Ces parallèles rappellent que l’état d’urgence démocratique s’enracine souvent dans une stratégie de captation systémique, qui ne se contente pas de neutraliser les contre-pouvoirs, mais les remplace par une logique clanique. Aux États-Unis, cette logique prend une forme singulière — celle d’un pouvoir présidentiel inspiré des méthodes mafieuses.
La logique mafieuse du pouvoir personnalisé
Derrière la façade institutionnelle, le pouvoir exécutif sous Trump prend progressivement les traits d’une structure mafieuse. La fidélité personnelle prime sur les règles, et l’usage du pouvoir s’oriente moins vers l’intérêt général que vers la protection du clan, la récompense des alliés et la neutralisation des ennemis. Cette logique s’incarne dans les nominations de loyalistes radicaux, la mise au pas du système judiciaire, et l’instrumentalisation de l’appareil répressif à des fins sélectives. Plusieurs anciens conseillers ont comparé l’entourage présidentiel à un « cercle de silence » où l’information est filtrée, les désaccords punis et les fuites traquées comme des trahisons. Ce mode de gouvernement n’est plus seulement autoritaire : il mime les pratiques d’une organisation criminelle, fondée sur le contrôle de l’information, la peur des représailles et le culte de la loyauté absolue.
L’ère numérique comme amplificateur sans précédent
Un facteur distinctif majeur de la période actuelle est le contexte technologique. Les réseaux sociaux permettent une communication présidentielle directe et non filtrée avec les citoyens, contournant les médiations journalistiques traditionnelles.
Ce phénomène, amorcé lors du premier mandat Trump, a atteint une nouvelle dimension avec l’acquisition de Twitter (désormais X) par Elon Musk, allié de la présidence, et par la création de plateformes alternatives ciblant spécifiquement l’électorat conservateur.
La polarisation informationnelle qui en résulte est sans précédent: 64% des Américains vivent désormais dans des écosystèmes d’information distincts selon leur orientation politique, d’après une étude du Pew Research Center publiée en mars 2025. Nous assistons à la naissance de deux Amériques qui ne partagent plus la même réalité factuelle – situation qui aurait fait frémir les Pères fondateurs pour qui le débat démocratique présupposait au moins un socle commun de faits. Cette rupture du consensus factuel n’est pas seulement un symptôme : c’est désormais un outil de gouvernement. En contrôlant l’accès à l’information, en orientant les algorithmes, le pouvoir façonne les perceptions. Il ne cherche plus à convaincre, mais à imposer un récit.
En parallèle, les technologies de surveillance, de ciblage et d’action à distance donnent à l’exécutif des moyens d’intervention rapides et discrets. Le pouvoir devient plus direct, moins visible — mais aussi plus difficile à contester.
Le contexte international favorable à cette transformation
Enfin, le contexte international actuel offre un terrain favorable à cette transformation. L’Indice de Démocratie de l’Economist Intelligence Unita documenté un déclin global des démocraties libérales pour la 17ème année consécutive, avec 35 pays connaissant une détérioration significative en 2024 contre seulement 14 en progression. Cette tendance mondiale, couplée à la montée de modèles autoritaires présentés comme « efficaces » (Chine, Russie, Hongrie), crée un environnement où la concentration du pouvoir peut être présentée comme une nécessité géopolitique.
La rhétorique présidentielle exploite abondamment cet argument, présentant l’équilibre des pouvoirs traditionnel comme un « luxe » que l’Amérique ne peut plus se permettre face à des rivaux qui « décident en quelques heures quand nous délibérons pendant des années ».
Enfin en terme de perspective économique : Certains économistes comme Michael Boski soutiennent que cette transformation pourrait renforcer la compétitivité américaine dans un monde où les décisions rapides et l’agilité réglementaire sont essentielles. Ils pointent notamment que les économies asiatiques les plus dynamiques (Singapour, Chine) combinent une forte direction centrale avec un pragmatisme économique.
Ces transformations ne se limitent donc pas à des modifications techniques ou administratives; elles affectent concrètement la vie quotidienne des Américains, comme l’illustrent ces témoignages :
Queens, NY : « Depuis la directive sur la ‘présomption d’illégalité’, mon restaurant a perdu 40% de son personnel en deux mois. Ils ne sont pas partis, ils se cachent. » – Miguel Sanchez, restaurateur
Wyoming : « L’allègement des normes EPA a permis de relancer l’exploitation du charbon. Notre comté a créé 230 emplois depuis février. Pour la première fois depuis des années, les jeunes restent ici. » – Sheriff Tom Jenkins
Ann Arbor, MI : « Je viens d’apprendre que mon département sera ‘restructuré’. En clair, nos recherches sur le changement climatique ne recevront plus de financements fédéraux. Certains collègues envisagent déjà des postes au Canada. » – Dr. Emma Richardson, climatologue
Atlanta, GA : « La suspension du monitoring fédéral des abus policiers se fait déjà sentir. Les contrôles ont augmenté de 40% dans notre quartier, tandis que les plaintes n’aboutissent plus. » – Rev. James Carter, pasteur et militant pour les droits civiques.
Ces témoignages révèlent une réalité contrastée, où les mêmes politiques créent simultanément des « gagnants » et des « perdants » selon les régions et les secteurs socio-économiques. Cette divergence d’expériences nourrit une polarisation sociétale encore plus profonde que la simple division partisane, comme le note Robert Putnam dans ses travaux sur la fragmentation sociale américaine.
Scénarios prospectifs et enjeux à court terme
L’analyse des trois premiers mois de cette présidence permet d’esquisser trois scénarios d’évolution possibles pour les prochaines années:
Scénario 1: Consolidation institutionnelle (probabilité estimée: 65%)
Dans ce scénario, la transformation actuelle s’ancre durablement dans le système politique américain. Les modifications structurelles deviennent des précédents acceptés et normalisés, survivant à la présidence actuelle. Certains experts estiment que des changements fondamentaux comme la réduction de l’indépendance des agences fédérales et la restructuration judiciaire perdureront au-delà de 2028.
Points de cristallisation :
- La jurisprudence sur l’immunité présidentielle devient doctrine constitutionnelle
- Le DOGE s’intègre comme structure permanente de contrôle administratif
- Le Schedule F transforme 50,000 postes de fonctionnaires en positions révocables
Signaux avant-coureurs :
- Validation systématique des décrets exécutifs par les tribunaux nommés
- Adoption accélérée du statut Schedule F après les élections de mi-mandat 2026
Scénario 2: Résistance efficace et rééquilibrage (probabilité estimée: 25%)
Ce scénario voit l’émergence de contre-pouvoirs efficaces, notamment au niveau des États fédérés et du pouvoir judiciaire fédéral. Comme l’a noté Heather Gerken, doyenne de Yale Law School, « le fédéralisme américain a toujours été un mécanisme de résistance en période d’expansion du pouvoir central ». Les États dirigés par l’opposition pourraient devenir des laboratoires de résistance institutionnelle, comme on l’observe déjà en Californie et à New York.
Leviers de résistance :
- Pactes inter-États sur le climat, les droits civiques et l’éducation
- Alliance judiciaire des procureurs généraux démocrates
- « Résistance bureaucratique » des fonctionnaires ralentissant jusqu’à 20% les directives controversées
Indicateurs de succès :
- Maintien de l’indépendance des inspecteurs généraux
- Victoires judiciaires bloquant l’application du Schedule F
Scénario 3: Polarisation aggravée et instabilité systémique (probabilité estimée: 10%)
Le scénario le plus préoccupant verrait une escalade des tensions institutionnelles conduisant à des crises constitutionnelles plus aiguës. Selon Barbara Walter et d’autres chercheurs, les États-Unis sont désormais classés dans la zone d’alerte des démocraties fragiles, en raison de l’extrême polarisation, de l’érosion des normes et de la fragmentation sociale. Cette situation est comparable à celles observées avant les basculements autoritaires en Amérique latine.
Points de rupture :
- Refus d’États d’appliquer certaines lois fédérales (ex: politique migratoire)
- Conflits ouverts entre juridictions fédérales et locales
- Appels à l’Article V pour une convention constitutionnelle
Signaux d’alerte :
- Multiplication des incidents violents (>50/mois)
- Sanctions économiques entre États
- Fuite accélérée des talents vers l’étranger (+30% possible en 2026)
Note : Ces scénarios restent dynamiques et peuvent évoluer selon les résultats des élections de mi-mandat 2026 et les décisions futures de la Cour suprême.
Un test de resilience pour les institutions
Ce qui se joue en ce début d’année 2025 n’est donc pas simplement l’expression d’une personnalité présidentielle atypique. C’est une remise en question fondamentale du modèle de gouvernance américain, où l’efficacité supposée d’un pouvoir concentré est opposée aux vertus traditionnelles de la délibération et de l’équilibre institutionnel.
L’histoire américaine est jalonnée de moments où ce même débat s’est cristallisé, souvent en période de crise nationale. Ce qui distingue le moment actuel, c’est l’absence de crise extérieure majeure justifiant cette concentration du pouvoir, ainsi que l’approche systématique et multidimensionnelle qui caractérise cette transformation.
Alors que le 22e amendement rend impossible un troisième mandat, Donald Trump laisse entendre qu’il trouvera la martingale pour se représenter en 2028… et gagner à nouveau. Cette remise en question des limites constitutionnelles s’inscrit dans une vision du pouvoir comme patrimoine personnel plutôt que comme fonction institutionnelle temporaire.
Comme l’a dit un jour Alexis de Tocqueville:
« L’Amérique est grande parce qu’elle est bonne. Si l’Amérique cesse d’être bonne, elle cessera d’être grande. »
Au-delà du jugement moral que cette citation suggère, elle nous rappelle que la grandeur américaine a toujours résidé dans ses institutions plutôt que dans la puissance de ses dirigeants.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si ces institutions, conçues il y a plus de deux siècles, pourront résister à une remise en question aussi fondamentale et coordonnée de leurs principes fondateurs.
Un modèle qui inspire au-delà des frontières
Cette transformation ne se joue pas en vase clos. D’autres dirigeants autoritaires observent et s’inspirent. En affaiblissant les contre-pouvoirs, en accélérant la décision, en assumant une verticalité revendiquée, le modèle Trump devient une référence pour certains régimes.
Ce tournant américain pourrait ainsi marquer un basculement mondial, où l’efficacité du pouvoir l’emporte sur ses garde-fous. Et où la démocratie, pour survivre, devra réapprendre à se défendre.
Dans l’épisode 2 : Project 2025, le manifeste devenu matrice.
Ce qui se prépare n’a rien d’improvisé.
Le pouvoir a son plan, son langage, son mode d’emploi.
Dans cet épisode, nous explorerons comment cette transformation s’est cristallisée autour du Project 2025, véritable feuille de route pour la refonte de l’État fédéral. Nous analyserons son idéologie fondatrice, sa stratégie de mise en œuvre et les implications durables qu’il fait peser sur la gouvernance américaine.
Ce qu'il faut retenir
-
Une rupture institutionnelle sans précédent : Le premier trimestre de 2025 marque une concentration rapide et coordonnée du pouvoir exécutif, sans événement déclencheur majeur. Cette centralisation n’est plus une réaction, mais une stratégie.
-
Une trajectoire historique réactivée : Trump s’inscrit dans un héritage de présidences fortes (Jackson, Roosevelt, Nixon), mais en systématisant l’approche. Ce n’est plus un moment d’exception, mais une méthode de gouvernement.
-
Un ciblage multidimensionnel des contre-pouvoirs : Justice, administration, savoirs, médias et culture sont affaiblis de manière simultanée. La logique « tous azimuts » empêche la reconstitution d’un équilibre institutionnel.
-
Une présidence à logique mafieuse : Le pouvoir présidentiel adopte des traits structurellement mafieux : loyauté absolue exigée, système de récompenses et de punitions personnalisé, usage ciblé des institutions judiciaires et fiscales contre les opposants. L’État fonctionne selon une logique clanique, où l’intérêt public cède la place à la protection du cercle rapproché et à la consolidation d’un pouvoir opaque.
-
Le numérique comme levier de domination : En contournant les médiations traditionnelles et en exploitant les technologies de surveillance, de diffusion et d’influence, le pouvoir agit plus vite et plus directement. Ce n’est plus la vérité qui prime, mais la capacité à imposer un récit dominant dans des sphères informationnelles de plus en plus fermées.
-
Un climat international qui légitime le pouvoir fort : Le déclin des démocraties libérales et la montée de modèles autoritaires créent une fenêtre d’opportunité. L’exécutif fort devient, aux yeux de certains, un avantage compétitif global.
-
Trois trajectoires possibles pour les années à venir : Une consolidation du modèle, une résistance fédérale partielle, ou une instabilité chronique : l’avenir du système dépendra autant des institutions que de leur capacité à dire non.
-
Un débat fondateur réactivé au XXIe siècle : La présidence Trump renoue avec la tension originelle entre pouvoir fort et équilibre délibératif. Ce moment interroge la capacité des démocraties à survivre à leur propre efficacité.
-
Un modèle exportable ? : Observée au-delà des frontières, la méthode Trump inspire certains régimes autoritaires. Elle pourrait devenir une référence pour ceux qui cherchent à renforcer leur pouvoir exécutif tout en affaiblissant les garde-fous démocratiques.
Similaire
En savoir plus sur SAPERE
Subscribe to get the latest posts sent to your email.





Ping : La Présidence Trump en 2025 : La contre-révolution - SAPERE