La République turque

le dernier souffle de l’Empire et la naissance d’une nation

Mustafa Kamal dit Atatürk

 Le 29 octobre 1923, un souffle violent balaie les ruines fumantes de l’Empire ottoman. Ce jour-là, la République de Turquie par Atatürk est née. Non, pas née… plutôt arrachée aux griffes du passé, au bord du gouffre. Cet empire, qui s’étalait sur trois continents, se meurt, traînant son agonie à travers la boue de la Première Guerre mondiale. Et pourtant, dans ce chaos, un soldat visionnaire se dresse, armé d’une idée : faire de ce pays moribond une nation moderne, libre et laïque.

Les Ottomans sont morts, vive la République ! Mais cette proclamation ne résonne pas seulement dans les montagnes de l’Anatolie. Le monde entier retient son souffle. L’Europe, trop arrogante pour voir venir la tempête kémaliste, observe avec des yeux médusés. La Turquie, ce n’était qu’un souvenir impérialiste destiné à être disséqué par les traités des vainqueurs de la Grande Guerre. C’est ici que tout bascule.

Le Traité de Sèvres : l’humiliation des vaincus

Le 10 août 1920, le Traité de Sèvres s’abat comme une sentence sur l’Empire ottoman. On le découpe, on le morcelle, on le réduit à une poussière sur la carte. La France, la Grande-Bretagne, et l’Italie se partagent ses entrailles avec la morgue des vainqueurs. La Grèce, qui s’imagine déjà danser sur les ruines de Constantinople, s’empare de la Thrace et des îles de l’Égée. Les Arabes, eux, tombent sous les griffes des mandats européens. Quant aux Kurdes et aux Arméniens, des États indépendants sont promis à leur peuple. Mais tout cela, c’était sans compter Mustafa Kemal, l’homme au regard d’acier.

Pour lui, ce traité n’est pas seulement inacceptable. C’est une insulte, une honte. Il se lance alors dans une guerre d’indépendance qui va secouer l’Europe et forcer les puissances à revoir leurs calculs.

La résistance nationale : Ankara, épicentre de la révolte

Loin des palais dorés de Constantinople, un bastion de résistance s’érige en plein cœur de l’Anatolie : Ankara. Ici, pas de fastes ni de marbre, mais une aridité rude et sauvage. C’est ici qu’Atatürk, en 1920, fonde la Grande Assemblée nationale de Turquie. Ici, la Turquie renaît de ses cendres. La guerre s’organise, et partout, des hommes et des femmes se rassemblent autour d’une idée simple : défendre la terre turque.

Parmi eux, Halide Edib Adıvar, plume de la révolution, raconte les espoirs désespérés d’un peuple trahi par ses dirigeants mais qui refuse de se rendre. À travers ses récits, on entend les tambours battant dans les villages, les hommes quittant leurs foyers pour rejoindre les rangs de cette armée improbable. Le mot d’ordre ? Se battre ou mourir.

Les récits personnels affluent. Mehmet, un jeune soldat, écrit à sa mère avant la bataille de Sakarya : « Si je tombe, c’est pour une Turquie libre, une terre où les enfants pourront marcher la tête haute. » Dans cette lettre, il y a tout : le désespoir et la détermination d’un peuple acculé.

Victoire à Lausanne : la Turquie ressuscitée

Juillet 1923. Après des mois de combats, de victoires arrachées dans la douleur, la Turquie impose ses conditions aux puissances mondiales. Le traité de Lausanne efface celui de Sèvres et redessine les contours de cette République qui prend forme. La Grèce, vaincue, retourne chez elle, laissant derrière elle des villages entiers de réfugiés grecs qui fuient l’Anatolie. Ce n’est pas une victoire diplomatique, c’est une revanche. L’Europe n’a plus d’autre choix que de reconnaître la souveraineté de cette Turquie qu’ils voulaient voir disparaître.

Pour Atatürk, la victoire est totale. Les Alliés, après avoir sous-estimé la rage nationaliste turque, capitulent. Les frontières sont établies : l’Anatolie, la Thrace orientale, tout revient à la Turquie. Mais ce n’est que le début.

Ankara : symbole de la rupture avec l’Empire

Le 29 octobre 1923, la République est proclamée, et Ankara devient la nouvelle capitale. Adieu Constantinople, ville mythique, désormais jugée trop imprégnée du passé ottoman. Ankara, rude et centrale, incarne cette Turquie nouvelle, jeune, qui rompt avec son passé impérial. Le choix est stratégique, bien sûr. Loin des côtes vulnérables, Ankara offre une protection naturelle. Mais c’est avant tout un symbole. Un pied de nez à tous ceux qui pensaient que la Turquie resterait enchaînée à son histoire.

Ankara, c’est la ville où la révolution s’est organisée. Un lieu où tout reste à bâtir. Et Mustafa Kemal, dans un geste presque prophétique, fait d’Ankara le cœur battant de sa République.

La Révolution Kémaliste : démanteler le passé, bâtir l’avenir

Atatürk ne veut pas seulement réformer. Il veut tout réinventer. Chaque institution, chaque loi, chaque coutume doit être scrutée, jugée, puis, si nécessaire, démantelée. En 1924, le califat est aboli. La religion, pilier du pouvoir ottoman, est expulsée des affaires de l’État. On ne marchande pas avec la laïcité. En 1928, Atatürk va plus loin encore : il impose l’alphabet latin, rompant avec des siècles d’écriture arabe. Le passé est enterré, l’avenir s’écrit en lettres romaines.

Les réformes sociales suivent. En 1926, le code civil interdit la polygamie, faisant du mariage civil la seule union reconnue. Les femmes turques ne sont pas en reste. En 1930, elles obtiennent le droit de vote aux élections municipales, et en 1934, elles deviennent éligibles au Parlement. L’Europe peut bien prendre des airs supérieurs : la Turquie, en matière de droits des femmes, avance à pas de géant.

Atatürk ne veut pas seulement un pays laïc et moderne, il veut une nation forte, capable de rivaliser avec les grandes puissances. Sur le plan économique, il adopte une série de mesures protectionnistes. Il est temps pour la Turquie de produire, de créer, d’imposer ses règles sur le marché international.

L’héritage d’Atatürk : entre vénération et tension

La Turquie est debout, fière et indépendante. Mais l’œuvre d’Atatürk ne se fait pas sans heurts. Si ses réformes sont saluées par certains comme la clé de la modernisation du pays, elles laissent aussi des cicatrices. Les minorités ethniques, notamment les Kurdes, vivent mal cette nouvelle centralisation forcenée. Atatürk, pour eux, n’est pas le libérateur, mais l’oppresseur.

Les grandes puissances, après avoir vu leurs ambitions brisées à Lausanne, observent avec une méfiance froide ce nouveau pays qui se redresse avec autant de vigueur. La France, la Grande-Bretagne, même la Grèce, doivent composer avec cette Turquie qu’ils n’avaient pas vu venir.

Mais qu’importe. En ce 29 octobre 1923, Mustafa Kemal Atatürk ne regarde pas derrière lui. Il sait qu’il a transformé une terre meurtrie en une nation prête à affronter le XXe siècle. Un siècle qui, sans aucun doute, portera son empreinte. Il meurt en 1938, mais sa République, elle, vit encore, célébrée chaque année en ce jour mémorable, symbole d’une renaissance miraculeuse.

 

Voilà, la République turque est née dans un éclat de modernité brutale, de ferveur nationaliste et de visions radicales. Un empire s’effondre, une nation se lève. Et cette nation, aujourd’hui encore, porte la marque indélébile de celui qui l’a arrachée aux cendres de l’histoire : Mustafa Kemal Atatürk.

Chronologie

1299 –

Fondation de l’Empire ottoman par Osman Ier après la conquête de Mocadène. Cet événement marque le début de l’ascension de la dynastie ottomane.

1453 Mai 29 –

Conquête de Constantinople par Mehmet II, marquant la chute de l’Empire byzantin et le début de la transformation de Constantinople en centre névralgique de l’Empire ottoman.

1571 Octobre 7 –

Défaite de la flotte ottomane lors de la bataille de Lépante contre la Sainte Ligue, marquant le début du déclin de la domination maritime ottomane en Méditerranée.

1683 Septembre 12 –

Défaite de l’Empire ottoman lors de la bataille de Vienne, freinant l’expansion ottomane en Europe et annonçant le début de son déclin progressif.

1853 Octobre –

Début de la guerre de Crimée, où les Ottomans, affaiblis, s’allient à la France et la Grande-Bretagne pour contrer la Russie, révélant l’expression de « l’homme malade de l’Europe ».

1918 Novembre –

L’Empire ottoman est vaincu à la fin de la Première Guerre mondiale. Les forces alliées occupent Istanbul et d’autres régions stratégiques de l’empire.

1920 Août 10 –

Signature du Traité de Sèvres, imposant le démembrement de l’Empire ottoman et prévoyant la création de nouveaux États (Kurdistan et Arménie) ainsi que la cession de territoires à la Grèce, la France, et la Grande-Bretagne.

1920 Avril –

Mustafa Kemal fonde la Grande Assemblée nationale de Turquie à Ankara, défiant le sultan ottoman et les puissances alliées.

1921 Août –

Victoire décisive des forces turques lors de la bataille de Sakarya contre les troupes grecques.

1923 Juillet 24 –

Signature du Traité de Lausanne, annulant le Traité de Sèvres et redéfinissant les frontières de la Turquie moderne. Le pays compte alors 13 millions d’habitants contre 85 millions en 2024 et s’étend sur plus de 783,000 km².

1923 Octobre 29 –

Proclamation officielle de la République de Turquie par Mustafa Kemal Atatürk. Ankara est choisie comme capitale.

1924 Mars –

Abolition du califat. La République turque devient un État laïque.

1926 Février –

Adoption du nouveau code civil, interdisant la polygamie et instaurant le mariage civil.

1928 Novembre –

Atatürk impose l’alphabet latin, remplaçant l’alphabet arabe.

1930 Décembre –

Les femmes turques obtiennent le droit de vote aux élections municipales.

1934 Décembre –

Les femmes turques deviennent éligibles aux élections législatives, un pas majeur vers l’égalité des sexes en Turquie.

1936 Juillet –

Signature de la Convention de Montreux, redonnant à la Turquie le contrôle total des détroits du Bosphore et des Dardanelles.

1938 Novembre 10 –

Décès de Mustafa Kemal Atatürk, premier président de la République turque et père fondateur de la Turquie moderne.

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