11 octobre 1899

Quand l'or saigne et que l'Empire s'effondre

La future Afrique du Sud flambe. Le 11 octobre 1899, la Seconde Guerre des Boers éclate, et les républiques boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange défient la machine de guerre britannique avec une audace presque suicidaire. En cause ? Non pas la soif de liberté d’une poignée de fermiers obstinés, mais une terre gorgée d’or, un or si pur qu’il en devient poison. Paul Kruger, président du Transvaal, le savait : « Cet or imbibera notre pays de sang. » Il n’avait pas tort.

Les Boers : des paysans prêts à mourir pour leur terre

Les Boers ne sont pas des soldats ordinaires. Ce sont des fermiers, descendants de colons néerlandais, français et allemands, venus au XVIIe siècle en quête de liberté. Mais leur isolement tranquille est brisé à la fin du XIXe siècle avec la découverte de gigantesques gisements d’or à Witwatersrand. En un clin d’œil, Johannesburg, autrefois terre agricole, se transforme en une ville champignon, remplie de uitlanders, ces Britanniques attirés par les promesses de richesse. Cependant, les Boers, avec leur mentalité résolue et indépendante, refusent de céder aux pressions économiques et politiques de Londres, qui convoite ces terres remplies de ressources.

La détonation : une guerre inévitable

Cecil RHODES (1853-1902)

Cecil Rhodes, archétype du colonisateur ambitieux, conspire depuis des années. En 1895, son échec retentissant avec le raid Jameson est la première étincelle. Mais en octobre 1899, la mèche s’enflamme pour de bon. Le président Kruger du Transvaal envoie un ultimatum exigeant le retrait des troupes britanniques. Lorsque Londres refuse, les Boers frappent en premier. Ils savent que l’Empire les dépasse en nombre et en armement, mais ils ont un avantage : leur terre. À Kraaipan, les Boers lancent l’offensive, et bientôt les villes comme Ladysmith, Mafeking et Kimberley se retrouvent encerclées.

Tactiques de guérilla et innovations militaires

Ce conflit, au-delà de son aspect colonial, voit l’émergence de nouvelles formes de guerre. L’utilisation massive des chemins de fer par les Britanniques pour transporter des troupes à travers l’immensité du veld sud-africain transforme la logistique militaire. Les Boers, quant à eux, excellent dans l’art de la guérilla : de petites unités mobiles, frappant vite et fort, s’éclipsent avant que les lourdes machines britanniques ne réagissent. Les innovations technologiques, telles que les mitrailleuses Maxim et les télégraphes, font également leur entrée dans la guerre. Les Boers, armés de fusils Mauser, défendent chaque pouce de terrain, usant d’un réseau de tranchées avant-gardistes, comme à Magersfontein, où ils prennent les Britanniques par surprise avec des tranchées creusées au pied des collines. Le résultat est sanglant : la Semaine noire de décembre 1899 fait trembler l’Empire.

Kitchener et la guerre totale

Horatio Herbert KITCHENER

Face à cette résistance acharnée, Le Baron Kitchener change de stratégie. Si les Boers ne peuvent être vaincus sur le champ de bataille, il détruira leurs foyers. Ainsi débute la politique de la terre brûlée : des milliers de fermes boers sont réduites en cendres, leurs champs dévastés. Mais la pire innovation de cette guerre est l’introduction des camps de concentration. Les femmes et les enfants, coupés de leurs terres, sont rassemblés dans des camps où les conditions sont épouvantables. Emily Hobhouse, une militante britannique, expose les horreurs au monde, dénonçant un taux de mortalité effroyable : près de 28,000 Boers, pour la plupart des enfants, périssent dans ces camps. Et ce ne sont pas seulement les Boers qui souffrent. Quelque 115,000 Noirs, autrefois domestiques et bergers, sont également internés dans des camps. La guerre est totale, brutale, sans pitié. L’Empire, malgré ses innovations, est forcé de constater que la technologie moderne ne garantit pas une victoire morale.

La guerre vue de l’étranger : un Empire en disgrâce

Les répercussions internationales de cette guerre ne tardent pas à se faire sentir. Les médias du monde entier, notamment en Europe, suivent de près les événements, et la presse britannique elle-même devient un champ de bataille. Le Times de Londres, en particulier, fustige la politique des camps de concentration, tandis que des journaux étrangers, français et allemands en tête, se délectent des échecs britanniques, renforçant l’idée que l’Empire n’est pas invincible. L’Allemagne de Guillaume II soutient discrètement les Boers, ravitaillant leur armée en armes, et voit dans cette guerre une opportunité d’affaiblir la puissance britannique. La presse internationale devient ainsi un acteur invisible mais décisif, influençant l’opinion publique mondiale. Les Britanniques, qui avaient envisagé un conflit éclair, se retrouvent englués dans un bourbier qui érode lentement leur crédibilité sur la scène internationale.

Une victoire amère, un avenir incertain

Le 31 mai 1902, le traité de Vereeniging est signé. Les Boers ont perdu leur indépendance, mais ils ont gagné autre chose : une conscience nationale. Bien que leurs républiques soient désormais intégrées à l’Empire britannique, les conditions de la paix garantissent une autonomie relative. Le nationalisme afrikaner naît des cendres de cette guerre. Le rêve impérial de Cecil Rhodes est en ruine. L’Empire a peut-être conquis des terres, mais il a perdu son éclat moral, terni par la brutalité et la violence. Cette guerre n’est pas seulement une bataille pour l’or, c’est une guerre pour l’âme d’un peuple. L’Empire britannique, malgré ses innovations militaires et sa machine de guerre, découvre une vérité brutale : la force ne peut pas toujours soumettre un peuple résolu à se battre pour sa liberté. La Seconde Guerre des Boers s’achève, mais elle laisse derrière elle des cicatrices profondes, des mémoires gravées dans le sang et la terre. Ce conflit marque la fin d’une époque et le début d’une autre, où l’Afrique du Sud, forgée dans la guerre, prendra un chemin imprévisible vers son destin.

Les répercussions économiques : un avenir forgé dans le fer et l’or

La guerre, si elle brise des vies, forge également des destins. L’Afrique du Sud émerge du conflit profondément marquée, économiquement et socialement. Le coût de la guerre est exorbitant pour les Britanniques, non seulement en termes humains mais aussi en infrastructure. Les chemins de fer et les mines d’or, ravagés par les combats, deviennent pourtant les fondations sur lesquelles l’économie sud-africaine sera reconstruite. Pour les Boers, la guerre laisse un pays en ruine, mais elle ouvre aussi une nouvelle ère de modernisation, où l’exploitation des ressources minières redéfinira leur place dans l’économie mondiale.

Le regard des historiens : une guerre aux multiples lectures

La Seconde Guerre des Boers a engendré des interprétations contrastées parmi les historiens, en fonction des perspectives politiques et sociales qu’ils adoptent. Certains, comme Thomas Pakenham, voient ce conflit comme l’un des derniers soubresauts d’un impérialisme britannique en pleine expansion, désireux de contrôler les richesses stratégiques du Transvaal, en particulier l’or. Il souligne la myopie stratégique de Londres, qui croyait pouvoir écraser rapidement une révolte de fermiers mal armés. Pour Pakenham, la guerre des Boers symbolise l’arrogance de l’Empire et l’échec de sa politique coloniale à long terme.

D’autres, comme Iain Smith, considèrent la guerre comme une tragédie humaine plus qu’un affrontement impérial. Il insiste sur l’impact dévastateur des camps de concentration britanniques et la politique de la terre brûlée, qui ont non seulement traumatisé la population boer mais aussi terni durablement l’image de la Grande-Bretagne sur la scène internationale. Il pointe également le rôle des femmes boers, devenues figures de la résistance morale, et des Noirs sud-africains, souvent oubliés dans les récits traditionnels.

En revanche, des historiens comme Hermann Giliomee, spécialiste du nationalisme afrikaner, estiment que cette guerre a joué un rôle déterminant dans la formation de l’identité afrikaner moderne. Pour lui, c’est un conflit fondateur qui, malgré la défaite militaire, a forgé un esprit de résistance et jeté les bases d’une conscience nationale afrikaner, qui culminera des décennies plus tard avec l’instauration de l’apartheid. Giliomee voit dans cette guerre la naissance d’une nation, prête à se battre pour son autonomie culturelle et politique face aux ingérences extérieures.

Ainsi, les avis divergent, certains y voyant un conflit d’avidité impérialiste, d’autres un tournant décisif dans l’histoire de l’Afrique du Sud, où se mêlent tragédies humaines et luttes identitaires.

Chronologie

1795  – Début de la présence des Britanniques au Cap

Cette colonie du Cap, qui était auparavant sous domination néerlandaise. est officiellement annexée en 1814 après le traité de Paris.

1880 Décembre 16 – Début de la première guerre des Boers

La Première Guerre des Boers fut déclenchée principalement par la volonté des Boers du Transvaal de restaurer leur indépendance, perdue en 1877 lorsque l’Empire britannique avait annexé la république du Transvaal. Cette annexion avait été justifiée par Londres sous prétexte de protéger le Transvaal contre les menaces extérieures, notamment les attaques zouloues, et d’apporter stabilité et modernisation. Cependant, les Boers voyaient cette annexion comme une ingérence inacceptable et une violation de leur souveraineté.

À cela s’ajoutaient des tensions économiques, des impôts plus élevés et une mauvaise gestion administrative par les Britanniques, exacerbant le mécontentement des Boers. En 1880, face à la montée des frustrations, les Boers décidèrent de se révolter pour retrouver leur autonomie. Leur détermination à défendre leur indépendance et la gestion inappropriée des Britanniques aboutirent à une confrontation armée, qui culmina avec des batailles comme celle de Majuba Hill, où la supériorité tactique des Boers leur permit de remporter des victoires décisives et d’obliger les Britanniques à négocier la fin de la guerre et à reconnaître, au moins en partie, l’autonomie du Transvaal.

1881 Mars 23 – Fin de la première guerre des Boers

Les Boers remportent la Première Guerre des Boers (1880-1881), contraignant l’Empire britannique à reconnaître l’autonomie du Transvaal après une série de défaites humiliantes, notamment à Majuba Hill. On dénombre côté britannique environ 285 morts et 123 blessés, tandis que les pertes boers sont estimées à 41 morts et 47 blessés

1899 Octobre 9 – Ultimatum du Transvaal

Le président Paul Kruger du Transvaal envoie un ultimatum au Royaume-Uni, exigeant le retrait des troupes britanniques des frontières du Transvaal. Cet ultimatum est ignoré par les Britanniques.

1899 Octobre 11 – Début de la Seconde Guerre des Boers

La guerre éclate officiellement lorsque les forces boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange attaquent les colonies britanniques du Cap et du Natal. Les premières batailles ont lieu à Kraaipan et Talana Hill.

1899 Décembre 10-15 – La Semaine noire

Les Britanniques subissent une série de lourdes défaites à Magersfontein, Stormberg et Colenso. Ces revers coûtent la vie à de nombreux soldats britanniques et ébranlent la confiance de l’Empire.

1900 Février – Arrivée de Lord Roberts et début de l’offensive britannique

Lord Roberts arrive en Afrique du Sud avec des renforts massifs et entreprend une offensive pour lever le siège de Kimberley et Bloemfontein. Les Britanniques reprennent progressivement le contrôle du territoire.

1900 Juin 5 – Prise de Prétoria

Les forces britanniques capturent la capitale du Transvaal, marquant une victoire symbolique. Cependant, la guerre continue sous forme de guérilla menée par les Boers.

1901 Mars – Politique de la terre brûlée

Lord Kitchener, devenu commandant en chef des forces britanniques en novembre 1900 introduit une politique de la terre brûlée, détruisant fermes et villages boers, et internant femmes et enfants dans des camps de concentration. Cette tactique brutale vise à couper les Boers de leurs ressources.

1902 Mai 31 – Traité de Vereeniging

Le traité de Vereeniging met fin à la guerre. Les républiques boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange sont annexées à l’Empire britannique, mais des concessions politiques et économiques sont accordées aux Boers.

Un Bilan Humain Très Lourd

La Seconde Guerre des Boers, qui s’est déroulée de 1899 à 1902, a eu un bilan humain très lourd. Voici les principales données concernant les pertes humaines :


BOERS

6 000 à 7 000 soldats boers ont été tués au combat.

28 000 civils boers, principalement des femmes et des enfants, sont morts dans les camps de concentration britanniques en raison de maladies et de malnutrition.


BRITANNIQUES

Les pertes britanniques s’élèvent à environ 22 000 morts, dont environ 14 000 sont décédés de maladies.


POPULATIONS NOIRES

Environ 115 000 Africains noirs ont été internés dans des camps de concentration britanniques.

Environ 20 000 sont morts en raison des conditions de vie dans ces camps.

Video


En savoir plus sur SAPERE

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Laisser un commentaire

Retour en haut

En savoir plus sur SAPERE

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture