23 octobre 1812

Le jour où un général républicain a failli détrôner Napoléon

Paris, 23 octobre 1812. Tandis que Napoléon est enlisé dans la campagne de Russie, un général de 58 ans, oublié du grand public, Claude-François de Malet, tente l’impossible. Ce général oublié, prépare un coup d’État audacieux. Son but : rétablir la République en annonçant la mort de l’Empereur. »Dans un empire où tout repose sur la figure de Napoléon, la simple diffusion d’une rumeur parvient à semer le chaos à Paris, pendant quelques heures seulement. Mais l’histoire retiendra cet épisode comme l’un des rares moments où l’Empire napoléonien vacilla, non sous les coups des puissances étrangères, mais par les manigances d’un seul homme.

Malet : un homme rongé par l’amertume et l’ambition

Claude-François de Malet n’est pas un inconnu de l’armée. Né en 1754, il a servi dans les mousquetaires sous Louis XVI. Mais en 1776, alors qu’il a à peine 22 ans, sa carrière est brusquement interrompue. Le comte de Saint-Germain, ministre de la Guerre, réorganise l’armée et dissout une partie de la Garde royale pour réduire les coûts. Malet est alors licencié, et cette déception marque profondément l’homme. Contraint de retourner à Dole, sa ville natale, il nourrit dès lors une rancœur grandissante contre les autorités en place.

Au fil des ans, ce ressentiment se transforme en une opposition de plus en plus farouche à tout régime monarchique. L’arrestation de l’évêque de Noyon en 1792, figure hostile à la Révolution, lui vaut une popularité certaine à Dole. Mais ce succès local ne suffit pas. Pour Malet, qui rêve de grandeur, les opportunités militaires qui lui sont offertes ne sont jamais à la hauteur de ses ambitions. Il voit dans Napoléon, couronné empereur en 1804, la trahison ultime des idéaux révolutionnaires auxquels il a consacré sa vie. En 1808, il est arrêté pour ses critiques du régime impérial et enfermé à la maison de santé du docteur Dubuisson. Là, à l’âge de 58 ans, son désir de revanche atteint son apogée.

L’évasion audacieuse et l’illusion d’un coup d’État

Dans la nuit du 22 au 23 octobre 1812, Claude-François de Malet décide de passer à l’action. Avec l’aide de l’abbé Lafon, il s’évade de la maison de santé en sautant par-dessus le mur d’enceinte. Ils passent la nuit chez un ami, où l’attend un uniforme de général de division que sa femme lui a procuré. Son plan est simple, mais osé : faire croire que Napoléon est mort en Russie et que la République doit être rétablie. Armé de faux décrets, il se dirige avec aplomb vers la caserne de la Garde nationale, convainquant les officiers présents de la nécessité d’un soulèvement.

Le moment où Paris vacille

6 heures du matin, 23 octobre. Malet n’en est qu’au début de son théâtre. Il fait arrêter le gouverneur militaire de Paris, le général Hulin, et remplace les têtes de l’armée par ses propres complices. Savary, le puissant ministre de la Police, est également capturé. À ce moment-là, tout Paris semble prêt à tomber dans les mains du général. L’annonce de la mort de Napoléon circule, et les doutes montent. L’empereur est loin, et les nouvelles du front sont désastreuses : la campagne de Russie tourne au carnage. Malet s’invite dans ce vide d’information, jouant sur la confusion et l’incertitude. Mais cette mascarade est fragile.

Le plan de Malet, aussi audacieux soit-il, repose sur un coup de bluff. L’illusion tient quelques heures, le temps que le doute ronge l’appareil militaire. Pourtant, c’est un château de cartes qui ne demande qu’à s’effondrer.

Doucet et Laborde : le coup de grâce à l’illusion

La fin de l’illusion vient de deux militaires, le colonel Doucet et son adjoint le commandant Laborde, se montrent plus sceptique que leurs confrères. Il exige des preuves de la mort de l’Empereur. Malet, pris de court, n’a rien à offrir d’autre que ses fausses allégations. Lorsqu’il déclare que la mort de l’empereur remonte au 7 octobre, il est démasqué, les deux hommes ayant eu des nouvelles de Napoléon plus récente. Ils le font arrêter à midi. En quelques heures, la conspiration s’est donc effondrée. Le rêve républicain vole en éclats, emportant avec lui ses complices. Malet et ses compagnons sont jugés en comparution immédiate et condamnés à mort. Ils sont exécutés au champ de Mars le 29 octobre 1812, fusillés devant un public médusé.

Audace solitaire contre organisation structurée

Le coup d’État de Malet, bien que téméraire, ne peut être comparé aux autres tentatives de renversement du régime napoléonien, comme la Conspiration des poignards en 1800 ou la Conspiration des égaux en 1802. Ces complots, royalistes pour les premiers et jacobins pour les seconds, reposaient sur des réseaux organisés et des plans bien plus sophistiqués. Malet, quant à lui, agit en solitaire, ou presque. Son plan repose uniquement sur la force de la rumeur et l’effet de surprise. Là où les autres conspirateurs avaient cherché à s’appuyer sur des forces militaires et populaires, Malet n’a que sa ruse et une poignée de faux documents.

Ce qui rend cette tentative unique, c’est son audace. Malet se voit comme le dernier rempart d’une République en péril. Mais son isolement, ses réseaux limités et son manque de préparation condamnent son coup d’État avant même qu’il n’ait véritablement commencé.

L'humiliation de Napoléon et les failles de l’Empire

Pour Napoléon, l’humiliation néanmoins est immense. En pleine débâcle militaire en Russie, il apprend qu’un simple général emprisonné a réussi à faire trembler la capitale. Cette conspiration met en lumière la vulnérabilité de son régime impérial. Napoléon, figure tout-puissante sur les champs de bataille, découvre que son empire peut être paralysé par une simple rumeur bien orchestrée. Savary et Clarke, les ministres de la Police et de la Guerre, se renvoient la responsabilité. Comment un tel coup d’État a-t-il pu être mené en plein Paris sans être décelé plus tôt ?

Fouché, avec son réseau d’agents secrets et d’indicateurs, n’a rien vu venir. Ce fiasco expose les failles d’un régime trop centralisé, trop dépendant de l’autorité directe de Napoléon.

Réactions internationales : l’Empire fragilisé

À l’international, cette tentative avortée n’est pas passée inaperçue. Les ennemis de Napoléon, notamment l’Angleterre et la Prusse, suivent de près les événements de Paris. La fragilité de l’Empire, qui vacille sous la simple annonce de la mort de son souverain, est vue comme un signe de faiblesse. La coalition européenne, déjà en guerre contre Napoléon, voit dans cet événement l’opportunité de renforcer ses efforts pour affaiblir davantage l’Empire. L’instabilité à Paris, couplée au désastre militaire en Russie, donne l’impression que l’empire napoléonien est sur le point de s’effondrer.

un coup d'État trop fragile pour renverser l’Empire

Claude-François de Malet n’aura donc pas réussi à renverser Napoléon.  Si l’Histoire retiendra cet épisode comme un moment où l’Empire vacilla brièvement, il n’en reste pas moins un échec. L’audace de Malet, bien qu’éclatante, ne suffit pas à compenser le manque de soutien militaire et populaire. L’illusion a fait trembler Paris, mais la réalité s’est imposée trop vite.

Malet, ce conspirateur solitaire, a néanmoins prouvé que même les grands empires peuvent être déstabilisés par une rumeur.

Chronologie

1754 Juin 28

Naissance de Claude-François de Malet à Dole.

1771

Malet intègre la compagnie écossaise des gardes du corps du roi.

1776

Malet est licencié du service des mousquetaires lors de la dissolution de la compagnie écossaise, sous les réformes militaires du comte de Saint-Germain.

1779

La compagnie écossaise est dissoute, Malet est renvoyé à Dole.

1789

Début de la Révolution française.

1790

Malet devient commandant en second de la garde bourgeoise de Dole.

1791

Malet est élu commandant de la garde nationale de Dole et forme des bataillons de volontaires.

1792 Août 10

Malet rejoint l’armée du Rhin en tant que capitaine. Il est soupçonné de royalisme à Dole.

1793

Malet est nommé chef d’état-major à Besançon.

1795-1799

Malet exerce une influence politique à Besançon, se rapprochant des Jacobins.

1798

Malet est muté à Grenoble suite à des plaintes de députés et de l’administration du Jura.

1799

Malet est promu général de brigade à titre provisoire par le général Championnet.

1800

Malet sert à l’armée de réserve en Bourgogne.

1801

Malet est muté à Bordeaux et entre en conflit avec les autorités civiles.

1802

Malet est muté en Dordogne puis en Charente. Il est nommé commandant de la Légion d’honneur.

1804

Malet est muté en Vendée.

1805

Malet est mis en non-activité suite à son comportement en Vendée, puis rappelé en service et envoyé à l’armée d’Italie.

1806

Malet est muté à Civitavecchia.

1808

Malet est arrêté pour une première tentative de complot. Il est emprisonné à la Force, puis mis en liberté surveillée.

1810

Malet est interné dans la maison de santé du docteur Dubuisson. Il rencontre l’abbé Lafon et prépare un nouveau complot.

1812 Octobre 22

Claude-François de Malet s’évade de la maison de santé du docteur Dubuisson avec l’aide de l’abbé Lafon. Il passe la nuit chez un ami et revêt un uniforme de général de division fourni par sa femme.

1812 Octobre 23

Malet tente un coup d’État en annonçant la mort de Napoléon. Il fait arrêter plusieurs hauts responsables, dont le ministre de la Police Savary et le gouverneur militaire de Paris, Hulin.

1812 Octobre 23 (midi)

Le coup d’État échoue lorsque le général Laborde demande des preuves de la mort de Napoléon. Malet et ses complices sont arrêtés.

1812 Octobre 29

Claude-François de Malet, avec ses 14 complices, est jugé et exécuté dans la plaine de Grenelle à Paris. Leurs corps sont inhumés dans une fosse commune du cimetière des suppliciés, le cimetière de Sainte-Catherine, dans l’actuel 5e arrondissement de la capitale.  

Les autres principaux protagonnistes

L’abbé Jean-Baptiste Lafon (1774-1817) – Fervent royaliste, interné dans la maison de santé du docteur Dubuisson où il rencontre Malet. Il devient son principal complice dans le coup d’État. Il parvient à échapper à la justice, ayant opportunément fuit Paris et bénéficiant de la protection offerte par des réseaux royalistes. Par ailleurs, l’absence de preuves matérielles contre lui, la solidarité des conjurés refusant de le dénoncer, et l’imprécision des récits et des manipulations ont brouillé davantage les pistes autour de son rôle exact.

Le général Maximilien-Joseph Lahorie (1765-1812) – Ancien aide de camp du général Moreau, républicain convaincu, il fut compromis dans la conjuration de Cadoudal. Lahorie rejoint Malet dans sa tentative de coup d’État, après avoir été libéré de prison par ce dernier. Malet lui confie la tâche de neutraliser les chefs de la police, espérant tirer parti de son grade et de ses convictions, bien que Lahorie ignorait les détails du complot et crut à la mort de Napoléon. Il accepta de collaborer et révéla l’emplacement de Savary, Pasquier et Desmarest, contribuant ainsi à l’échec de la conspiration. Malgré son implication tardive et ses révélations, ll est exécuté le 29 octobre.

Le général Emmanuel-Victor-Joseph Guidal (1764-1812) – Ancien jacobin, réputé pour son caractère excessif. Il rejoint Malet dans son complot, après avoir été libéré de prison par Malet. Il devait arrêter Cambacérès et Clarke au palais du Luxembourg. Cependant, Guidal, sceptique quant au sérieux du complot, abandonna rapidement sa mission, préférant boire avant de se cacher rue des Jeuneurs dans l’actuel 2e arrondissement. Cela ne l’empêchera pas d’être exécuté le 29 Octobre.

Jean-Auguste Rateau (1784-?) – Caporal influençable recruté par Malet. Son rôle devait être déterminant dans la prise de contrôle de Paris. Il était chargé de fournir le mot de passe de la nuit pour la garnison de Paris et d’accompagner Malet dans ses déplacements. Cependant, la veille du coup d’État, Rateau rentra à la caserne en état d’ivresse et fut consigné, incapable de participer à l’opération. Cet imprévu força Malet à retarder l’opération, contribuant à son échec. Bien que son implication fût involontaire, Rateau fut arrêté, condamné à mort puis gracié, illustrant comment des erreurs individuelles peuvent influer sur l’issue d’un complot.

Le duc de Rovigo, Anne Jean Marie René Savary (1774-1833) – Ministre de la Police générale sous l’Empire. Le 23 octobre 1812, Savary fut arrêté à son domicile par les conjurés et emprisonné à la préfecture de Police, où il refusa de céder aux pressions, affirmant que Napoléon était toujours en vie. Son absence alerta rapidement ses subordonnés, qui démantelèrent le complot. Bien qu’il joua un rôle actif dans l’enquête qui suivit, Savary fut critiqué pour son manque de vigilance, et l’affaire Malet entacha durablement sa réputation, conduisant à son remplacement en 1814.

Etienne-Denis Pasquier (1767-1862) – Préfet de Police de Paris, responsable du maintien de l’ordre. Arrêté par les conjurés, il refusa de coopérer, affirmant lui aussi que Napoléon était vivant. Bien que son arrestation ait permis aux conjurés de contrôler temporairement la préfecture de police, sa résistance contribua à ralentir le complot. Après la répression du coup d’État, Pasquier joua un rôle clé dans l’enquête, renforçant sa position au sein du régime, ce qui lui valut une ascension politique marquante.

Le duc de Feltre, Henri Jacques Guillaume Clarke (1765-1818) – Ministre de la Guerre sous l’Empire, en conflit avec Savary sur les responsabilités dans l’échec à prévenir le coup. Il était absent de Paris, facilitant ainsi la prise de contrôle de son ministère. Alerté tardivement, il prit des mesures pour réprimer le complot, mais chercha à minimiser l’incident, ce qui lui valut des critiques pour négligence et complaisance. Bien que maintenu à son poste, son image fut ternie par cette affaire, Napoléon lui-même nourrissant des doutes sur sa gestion, ce qui affaiblit durablement sa position au sein du gouvernement impérial.

Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824) – Archichancelier de l’Empire, il joue un rôle clé dans la gestion de la crise. En l’absence de Napoléon, parti pour la campagne de Russie, Cambacérès assurait l’intérim du pouvoir à Paris. Il était autorisé à prendre des décisions urgentes, à donner des ordres aux ministres et à présider les conseils. Bien que lui aussi absent de Paris ce jour-là, informé rapidement, il fit preuve de sang-froid, coordonna la riposte gouvernementale et rétablit l’ordre, tout en assurant la répression des conjurés. Napoléon le félicita pour son efficacité, et cet événement incita Cambacérès à proposer des réformes pour renforcer la stabilité du régime en cas d’absence de l’Empereur.


Sources

« 1812 La Conspiration du Général Malet  » par Thierry Lentz – Perrin, 2012.
« Napoléon, ou le mythe du sauveur » par Jean Tulard – Fayard, 1999.
« Le coup d’État manqué du général Malet. » par Olivier Chaline – Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 50, no. 3, 2003, pp. 512-527.


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