Le procès du Reichstag : théâtre judiciaire ou complot politique ?

Le 21 septembre 1933, Leipzig devient le théâtre d’un procès dont l’ampleur dépasse de loin la simple affaire criminelle. Les projecteurs se braquent sur Marinus van der Lubbe, accusé d’avoir déclenché l’incendie du Reichstag sept mois plus tôt. Ce procès, annoncé en grande pompe par le régime nazi, a une finalité bien précise : consolider le pouvoir d’Adolf Hitler et justifier la répression implacable contre les communistes.

L’enjeu est immense. Pour les nazis, ce procès doit être la preuve éclatante d’une conspiration communiste destinée à détruire l’Allemagne. Mais au-delà de la salle d’audience, c’est tout un pays qui bascule peu à peu dans la dictature.

Un coup de théâtre enflammé

Le 27 février 1933, les flammes engloutissent le Reichstag, le symbole de la démocratie allemande. Ce n’est pas un simple incendie : c’est un acte de guerre politique. L’Allemagne est sous le choc, et Hitler n’hésite pas à désigner immédiatement les coupables : les communistes.

Dans les heures qui suivent, Marinus van der Lubbe, un jeune ouvrier néerlandais, est arrêté sur les lieux du crime. Il est rapidement présenté comme l’incendiaire, un homme à l’esprit dérangé, facile à manipuler, un coupable idéal pour les nazis qui en font l’instrument de leur propagande. Mais la question demeure : comment un seul homme, partiellement aveugle et mentalement instable, aurait-il pu incendier un bâtiment de cette envergure ?

Le procès : une justice de façade

Le 21 septembre 1933, le procès de l’incendie du Reichstag s’ouvre à Leipzig. Dans cette salle d’audience où tout semble orchestré par les nazis, Marinus van der Lubbe est présenté comme l’instigateur principal du feu qui a ravagé le Reichstag sept mois plus tôt. Isolé, sans véritable soutien ni défense structurée, le jeune ouvrier néerlandais devient un symbole commode pour un régime qui cherche à légitimer sa répression. Mais van der Lubbe n’est pas seul sur le banc des accusés. À ses côtés, Georgi Dimitrov, militant communiste bulgare, et deux autres coaccusés, sont eux aussi jugés, accusés d’avoir orchestré un complot communiste international.

Pour les nazis, ce procès est une mise en scène politique, un théâtre destiné à prouver l’existence d’un complot mondial visant à détruire l’Allemagne. Mais l’audience ne va pas du tout se dérouler comme prévu.

Georgi Dimitrov : l’incorruptible résistant

Si van der Lubbe est trop fragile pour se défendre efficacement, Dimitrov, lui, va se révéler être une épine dans le pied du régime nazi. Assurant sa propre défense, il refuse de jouer le rôle de victime passive que les nazis voulaient lui attribuer. Avec une habileté rare, il retourne les accusations et attaque ses juges, dénonçant le caractère fallacieux des charges retenues contre lui. Il va même jusqu’à accuser Hermann Göring, l’un des plus hauts dignitaires nazis, d’avoir orchestré lui-même l’incendie pour justifier la répression.

Le contraste est saisissant : d’un côté, van der Lubbe, jeune, désorienté, presque fataliste, incarne le bouc émissaire idéal pour le régime nazi ; de l’autre, Dimitrov, charismatique et déterminé, transforme ce procès en tribune politique internationale. Alors que van der Lubbe se laisse entraîner par la machine judiciaire, Dimitrov brille par son audace et son habileté, renversant les attentes.

À la stupéfaction générale, Dimitrov parvient à démasquer les faiblesses du régime nazi. Ses échanges cinglants avec Göring et ses plaidoiries habiles embarrassent sérieusement les procureurs du régime. Le procès, censé être une démonstration de la puissance nazie, devient une humiliation internationale. Dimitrov, loin d’être condamné, est acquitté, et son acquittement devient un échec retentissant pour Hitler et sa propagande. Ce militant bulgare, jusque-là inconnu du grand public, sort du tribunal en héros, incarnant la résistance intellectuelle et politique face au totalitarisme. Il deviendra, dès 1934, Secrétaire général du comité exécutif de l’Internationale communiste, et continuera de jouer un rôle majeur dans la lutte contre le fascisme.

Mais pendant que Dimitrov savoure son triomphe, le destin de Marinus van der Lubbe est tout autre.

Marinus van der Lubbe : bouc émissaire ou acteur isolé ?

Contrairement à Dimitrov, van der Lubbe n’a pas la force ni les ressources pour retourner la situation. Son comportement erratique, ses aveux rapides et sa santé mentale fragile en font un coupable parfait pour les nazis. Il incarne la figure du bouc émissaire, l’homme dont le sort est scellé dès le début du procès. Bien que des doutes persistent sur son implication réelle et sur sa capacité à avoir incendié seul le Reichstag, son destin est implacable. Les historiens, comme Hans Mommsen et Fritz Tobias, débattent encore de son rôle exact : a-t-il agi seul, ou a-t-il été manipulé par le régime ? Quelle que soit la vérité, son image de coupable idéal ne fait qu’alimenter les spéculations.

Van der Lubbe, exécuté le 10 janvier 1934, devient à son insu une figure tragique de ce procès. Là où Dimitrov est devenu un symbole de résistance, van der Lubbe, lui, incarne la fragilité de ceux que le régime nazi a utilisés pour justifier la terreur.

Les conséquences d’un procès politique truqué

Si le procès n’a pas fourni la grande victoire symbolique espérée par les nazis, il n’en reste pas moins une étape cruciale dans leur prise de pouvoir. Rappelons que quelques jours après l’incendie, Hitler a fait voter le Décret de l’incendie du Reichstag, suspendant les libertés civiles et permettant l’arrestation de milliers de communistes. L’Allemagne en seulement quelques semaines s’est transformée en un État policier. Dès le 23 mars 1933, la loi des pleins pouvoirs sera votée, donnant à Hitler les rênes absolues du pays. 

L’incendie du Reichstag, et surtout le procès qui s’en est suivi, restera dans l’histoire comme le point de non-retour d’une Allemagne qui s’enfonce dans le totalitarisme. Ce moment clé montre que la justice peut être pervertie et utilisée pour détruire les fondements mêmes de la liberté. Les nazis vont ainsi créer en 1934 le Tribunal du peuple (Volksgerichtshof), avec pour objectif de garantir que plus aucun procès politique ne dérape comme à Leipzig. Cette institution sera le bras répressif du régime, condamnant des milliers d’opposants.

Heureusement, l’échec du procès des conjurés de 1944, accusés d’avoir tenté d’assassiner Hitler, démontrera que la justice spectacle peut se retourner contre ses instigateurs. Le juge Roland Freisler, par sa brutalité, ternira l’image du régime.

Ces deux procès montrent que même dans un système totalitaire, la parole peut devenir un espace de résistance et de subversion, exposant les failles d’un régime fondé sur la terreur.

Chronologie

1933 février 27 – Incendie du Reichstag

Le Reichstag, siège du parlement allemand, est ravagé par un incendie. Marinus van der Lubbe est arrêté sur place et avoue l’incendie.

1933 février 28 – Décret de l’incendie du Reichstag

Adolf Hitler convainc le président Hindenburg de signer un décret d’urgence suspendant les libertés civiles. Ce décret permet une répression massive des opposants, principalement les communistes.

1933 mars 5 – Élections législatives sous la terreur

Le Parti nazi remporte 44 % des voix, renforçant ainsi sa position. Les communistes sont arrêtés en masse et les partis d’opposition sont marginalisés.

1933 mars 23 – Loi des pleins pouvoirs

Hitler fait voter la loi des pleins pouvoirs, lui accordant un contrôle total sur l’Allemagne pour quatre ans, enterrant définitivement la démocratie parlementaire.

1933 septembre 21 – Ouverture du procès de l’incendie du Reichstag

Le procès s’ouvre à Leipzig, où les nazis cherchent à prouver une conspiration communiste. Marinus van der Lubbe, Georgi Dimitrov et d’autres coaccusés sont jugés.

1933 octobre-novembre – Plaidoirie de Georgi Dimitrov

Dimitrov prend la parole et accuse Hermann Göring de manipulation, transformant le procès en un embarras pour le régime nazi. Sa défense devient un symbole de la résistance.

1933 décembre 23 – Verdict du procès

Van der Lubbe est condamné à mort. Dimitrov et les autres accusés sont acquittés, humiliant le régime nazi.

1934 janvier 10 – Exécution de Marinus van der Lubbe

Marinus van der Lubbe est exécuté par décapitation à l’âge de 24 ans.

1967 – Réexamen du cas van der Lubbe

Une cour d’Allemagne de l’Ouest annule la condamnation pour haute trahison, mais maintient celle pour incendie.

2008 – Annulation complète de la condamnation

Le tribunal fédéral allemand annule la condamnation posthume de van der Lubbe, reconnaissant que le procès n’a pas respecté les principes de justice.

Video

Le professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, Johann Chapoutot, spécialiste du nazisme et de l’Allemagne, présente dans cette video en deux parties, les deux procès politiques célèbres sous le régime nazi, celui de Leipzig de 1933 ainsi que celui des conjurés contre Hitler de 1944. 


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