Louis XIII et le toucher des écrouelles

Quand le pouvoir sacré vacille sur un fil de légende

Portrait de Louis 13 enfant par Franz Pourbus fils

Le 21 octobre 1610, un enfant de neuf ans à peine, sacré roi de France et de Navarre depuis quatre jours, s’apprête à accomplir un acte qui, au regard des siècles, transcende le simple geste. Louis XIII, les mains tremblantes, touche des malades souffrant de scrofules. L’air est lourd, chargé d’une odeur que l’on dit insoutenable. Plus de 900 malades sont agenouillés devant lui, implorant la guérison d’une maladie qui fait d’eux des parias. On rapporte que le jeune roi s’évanouit à plusieurs reprises. Mais au fond, que se passe-t-il vraiment en cet instant sacré ? Est-ce un miracle, une simple mascarade ou un héritage pesant que le jeune roi doit déjà supporter ? Ce rite supposé millénaire, à la croisée du divin et du politique, mérite que l’on s’attarde sur ses zones d’ombres et ses légendes.

Un rituel aussi flou que ses origines

L’histoire du toucher des écrouelles, ce pouvoir quasi magique attribué aux souverains français, est entourée d’autant de mystères que de contradictions. Certains chroniqueurs l’attribuent à Clovis (481-511), ce roi guerrier franc converti par les ruses du catholicisme. Mais la vérité, tout comme ce rite, vacille sur des bases incertaines. Les premiers témoignages écrits ne surviennent que sous le règne de Louis VI le Gros (1108-1137), selon le moine Guibert de Nogent, qui affirme avoir vu de ses propres yeux le roi guérir par le simple contact de ses mains​. La légende est née, et elle doit vivre, au mépris des détails historiques.

En dehors de France, seul les rois d’Angleterre, à partir d’Henri II Plantagenêt (1154-1189), pratiqueront ce toucher royal pour guérir les écrouelles, avant que cette pratique ne s’éteigne au début du XVIIIe siècle. Aucune autre monarchie majeure en dehors d’Europe n’adoptera cette tradition.

Les écrouelles : le mal qui fait le roi

Scrofules, écrouelles — un mal d’origine tuberculeuse qui provoque des fistules purulentes, souvent dans le cou, laides et répugnantes à souhait. On dit que ce mal ne peut être guéri que par « un roi, béni de Dieu, touchant de sa main « pieuse ». En ces temps, la médecine est une science balbutiante, tandis que la foi reste, elle, ancrée dans la chair des croyants. Guérir par la grâce du roi ? Pourquoi pas. Robert le Pieux (996-1031), dit-on, obtint de Dieu le pouvoir de soigner d’un simple geste, renforçant ainsi l’aura mystique du souverain​.

Et puis vient Louis XIII, en 1610. Le jeune roi doit accomplir son premier miracle. Il quitte Reims, où il vient d’être couronné, pour se rendre à Corbeny, ce lieu devenu sacré par l’affluence des moines et des malades. À ses côtés, les reliques de saint Marcoul, figure centrale de ce rituel. Les moines remettent au roi la tête du saint, et après l’avoir reposée sur l’autel, Louis XIII s’avance, impose les mains, trace le signe de croix et prononce les mots fatidiques : « Le roi te touche, Dieu te guérit ». Pourtant, malgré la solennité de la scène, le roi s’effondre presque, tant l’odeur des malades est insupportable. Les chroniques parlent d’un Louis XIII évanescent, au bord de l’évanouissement, mais tenu de continuer cette démonstration de pouvoir sacré.

Entre légende et politique : le pouvoir du roi en jeu

Le rite du toucher des écrouelles n’est pas qu’un simple geste de miséricorde ou une fantaisie religieuse. Il s’agit d’une affirmation du pouvoir royal, un moyen pour la monarchie d’affirmer sa légitimité divine. Ce rituel, qui s’est amplifié sous les rois capétiens, a toujours eu une fonction politique essentielle. Dans une France fragilisée par les guerres de religion et les divisions internes, le roi doit incarner l’unité — non seulement politique, mais spirituelle. Louis XIII, malgré son jeune âge, n’échappe pas à cette exigence. Ce premier toucher des écrouelles est une manière de marquer le début de son règne sous les auspices de Dieu.

Toutefois, ce n’est pas un acte simple à accomplir. Comme l’a montré l’exemple de Louis XIII, ces cérémonies sont épuisantes, physiquement et moralement. Les malades se pressent de toute la France pour être touchés, parfois des centaines, voire des milliers, à chaque grande cérémonie. Louis XIV (règne : 1643-1715), dont on dit qu’il toucha près de 200,000 malades au cours de son règne, perpétua cette tradition avec éclat. Cependant, avec le temps, et particulièrement sous Louis XV (règne : 1715-1774), la croyance en ce pouvoir divin commence à s’effriter. Et pour cause, le nombre de guérisons attestées par les chroniques est faible.

La Sainte Ampoule : un miracle douteux

Un autre aspect de ce rite mérite d’être remis en question : la fameuse légende de la Sainte Ampoule, cette huile miraculeuse qui aurait été apportée par une colombe lors du baptême de Clovis. Elle est utilisée lors des sacres pour conférer au roi ce pouvoir de guérison. Mais cette histoire est avant tout une hagiographie, une fable créée pour renforcer la sacralité de la monarchie et glorifier les débuts de la dynastie franque.

Un miracle qui vacille

Avec l’avènement des Lumières et la montée en puissance de la science, le toucher des écrouelles perd progressivement de son aura. Louis XVI (règne : 1774-1792), dernier roi à pratiquer ce rituel lors de son sacre en 1775, marque la fin d’une époque. Charles X (règne : 1824-1830), dernier roi de la Restauration, se montre réticent à perpétuer la tradition, doutant de son efficacité réelle. Le temps des miracles est révolu, et l’absolutisme monarchique vacille face à l’émergence de la raison et du progrès.

Chronologie

1610 Octobre 17 – Sacre de Louis XIII à Reims

Louis XIII est sacré roi à la cathédrale de Reims, conformément à la tradition des rois de France. Il devient officiellement roi à l’âge de neuf ans, après l’assassinat de son père, Henri IV, en mai 1610.

1610 Octobre 21 – Louis XIII touche les écrouelles à Corbeny

Quatre jours après son sacre, Louis XIII effectue son premier toucher des écrouelles au monastère de Saint-Marcoul, près de Reims. Plus de 900 malades sont présents pour recevoir la guérison royale. Le jeune roi, malgré son état physique éprouvé, perpétue ce rituel ancien.

1643 Mai 14 – Mort de Louis XIII

Louis XIII décède après un règne de 33 ans. Son fils, Louis XIV, lui succède à l’âge de quatre ans. Louis XIII restera dans l’histoire comme un roi pieux, ayant perpétué la tradition du toucher des écrouelles tout au long de son règne.

1775 Juin 11 – Dernier toucher des écrouelles par Louis XVI

Lors de son sacre, Louis XVI est le dernier roi à effectuer officiellement le toucher des écrouelles. Ce rituel disparaîtra définitivement après la Révolution française, marquant la fin d’une tradition millénaire.

1824 Mai 29 – Charles X touche les écrouelles

Charles X, dernier roi de la dynastie des Bourbons, tente de rétablir la tradition du toucher des écrouelles lors de son règne. Cependant, sceptique de l’efficacité de ce rite, il l’abandonne rapidement après avoir touché 130 malades, ce qui marque la fin symbolique de cette pratique royale.


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