Mariane France
Nationalisme et héritage de la Révolution française
POLITIQUE & HISTOIRE

Nationalisme et héritage de la Révolution française

1789, acte fondateur du nationalisme moderne

La Révolution française de 1789 n’est pas seulement un événement politique majeur dans l’histoire de France ; elle constitue un tournant décisif dans l’histoire mondiale de la nation. En affirmant le principe de souveraineté populaire, elle rompt avec les légitimités dynastiques et religieuses qui avaient structuré l’Ancien Régime, posant les bases d’un État-nation moderne, laïque et républicain.

Mais ce modèle, en apparence universaliste, a aussi jeté les fondations de nombreux nationalismes européens du XIXe siècle. Ce paradoxe un universalisme à portée nationaliste constitue le cœur de l’ambiguïté que ce texte explore.

I. L’État-nation révolutionnaire : rupture avec l’Ancien Régime

La Révolution française fonde l’idée que l’État n’incarne plus un roi, mais une communauté politique souveraine : la nation. Celle-ci est désormais pensée comme un corps politique de citoyens libres et égaux, unis par un contrat social et par la volonté générale.

Ce renversement de légitimité se décline en plusieurs dimensions fondamentales :

  • Rationalisation du politique : la souveraineté repose sur la raison et le contrat, non sur la naissance ou la providence.
  • Laïcisation de la légitimité : l’État devient sécularisé, indépendant des institutions religieuses.
  • Unification du territoire : la nation devient indivisible, une et centralisée, contre les particularismes régionaux.

Ce modèle révolutionnaire va s’imposer comme une matrice idéologique pour de nombreux nationalismes au XIXe siècle, notamment dans les pays fragmentés ou dominés par des empires.

II. Le patriotisme comme religion civique

Les révolutionnaires, tout en proclamant l’universalité des droits de l’homme, investissent la nation française d’une dimension sacrée. Le patriotisme devient une nouvelle religion séculière :

  • La Fête de la Fédération ou celle de la Supreme Être sont des rituels quasi-religieux célébrant la Nation.
  • La Marseillaise, le drapeau tricolore, et les martyrs de la Révolution (Le Peletier, Marat) deviennent des symboles à vénérer.

La nation n’est plus seulement un cadre juridique : elle devient une entité morale, affective, transcendante. Ce culte de la nation imprègne durablement les nationalismes du XIXe siècle.

Contradiction fondamentale : le discours universaliste cohabite avec une sacralisation de l’exception française, générant un nationalisme implicite et exclusif.

III. L’héritage européen de 1789 : diffusion et adaptation

Le modèle révolutionnaire français a été largement exporté en Europe à travers la guerre, l’occupation, mais aussi l’inspiration idéologique. Il a nourri des mouvements nationalistes très différents dans leurs contextes, mais similaires dans leur usage du vocabulaire révolutionnaire.

Italie Risorgimento : Les idées républicaines, l’unification territoriale et la souveraineté populaire inspirent directement Mazzini et Garibaldi.

Allemagne : La défaite face à la France révolutionnaire renforce un patriotisme romantique, mais aussi une conception culturelle et ethnique de la nation (Fichte, Herder), plus éloignée du modèle jacobin.

Empire austro-hongrois : Les peuples dominés (Tchèques, Hongrois, Slaves du Sud) s’inspirent du principe de souveraineté des peuples pour revendiquer leur autonomie politique.

Amérique latine : L’exemple de la Révolution française et des droits de l’homme inspire les révolutions d’indépendance dans les colonies espagnoles.

Résultat : la Révolution de 1789 offre un lexique et un imaginaire politique aux nationalismes européens, mais son universalité est réinterprétée dans des cadres ethniques, religieux ou impériaux.

IV. Nationalisme : de l’émancipation à l’exclusion

Si la Révolution française a permis de penser la nation comme un instrument d’émancipation, son héritage idéologique a aussi nourri des dérives politiques au XIXe et XXe siècles.

Illustrations historiques

  • XIXe siècle : l’idée de nation devient un outil de guerre (France vs Prusse), d’unification autoritaire (Bismarck), et parfois d’exclusion (antisémitisme politique en France, Autriche, Russie).
  • XXe siècle : les totalitarismes (fascisme, nazisme) réinterprètent la nation dans une logique raciale, militaire, et expansionniste, totalement incompatible avec l’universalisme révolutionnaire.

Illustrations contemporaines

  • Les nationalismes identitaires d’aujourd’hui puisent dans une version tronquée de la souveraineté populaire pour rejeter les minorités, les élites, ou l’immigration, parfois au nom de la laïcité ou de la République.
  • L’ambiguïté entre patriotisme républicain et nationalisme fermé est exploitée dans les débats actuels sur la place de l’islam, de l’école ou de l’histoire nationale.
L’héritage de 1789 est donc ambivalent : émancipateur dans son principe, mais facilement récupérable par des récits d’exclusion et de pureté nationale.

Une mémoire politique sous tension

La Révolution française a laissé une empreinte profonde sur la manière dont les nations européennes se pensent et se justifient. En faisant de la nation l’incarnation du peuple souverain, elle a fondé le nationalisme moderne, mais aussi les tensions qu’il continue de porter.

Aujourd’hui encore, l’appel à la nation peut servir la démocratie… ou la fracturer. Ce n’est pas l’idée de nation qu’il faut rejeter, mais l’usage idéologique qu’on en fait.

Pour aller plus loin

  • Marcel Gauchet, La nation contre le nationalisme Une distinction essentielle entre la nation comme cadre démocratique et le nationalisme comme dérive identitaire. Un éclairage salutaire sur les tensions héritées de 1789.
  • Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française Une étude fondamentale sur les discours et représentations qui ont nourri la rupture révolutionnaire. Chartier analyse comment la culture politique du XVIIIe siècle a rendu possible l’émergence d’un État-nation souverain.
  • Pierre Rosanvallon, La démocratie inachevée Pour approfondir la tension entre souveraineté populaire et pluralisme, au cœur des démocraties modernes héritées de la Révolution.
  • Benedict Anderson, Communautés imaginées Pour comprendre la construction sociale de la nation moderne, à travers l’imaginaire politique révolutionnaire.

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