Thématiques
ToggleNicolas II :
le Tsar face à la tragédie de son règne
Le 1er novembre 1894, Nicolas II, jeune héritier des Romanov, se retrouve tsar d’un empire fissuré, au bord de l’implosion. À 26 ans, cet homme à l’âme hésitante prend le flambeau dans une Russie qui réclame tout sauf l’indécision. Face à lui, un pays massif, insatiable, demande un chef capable de danser sur le fil du pouvoir absolu et de la modernité brûlante. Nicolas n’est pas prêt, et l’histoire, féroce, ne lui accordera ni répit ni indulgence. Son règne s’annonce comme un duel entre une tradition autocratique agonisante et le murmure révolutionnaire d’un peuple en colère.
Contexte de la montée au pouvoir : une Russie en quête de modernisation
L’Empire russe de la fin du XIXe siècle ressemble à un géant endormi, aux membres gangrenés par des fractures internes qui n’attendent qu’à éclater. Depuis les réformes d’Alexandre II, les tsars essaient de pousser l’empire vers l’industrie et la modernité. Mais cet élan bute sur les vieilles terres gelées de l’aristocratie, encore solidement ancrée dans le passé, et sur une population qui, en majorité, continue de prier Dieu pour que le servage soit finalement aboli, ou du moins, pour qu’il en disparaisse l’esprit.
En 1894, la Russie est écartelée : entre l’espoir d’une révolution industrielle et le poids d’une économie d’un autre âge, figée dans le féodalisme. À peine libérés du servage, les paysans croulent sous des impôts écrasants ; leurs terres sont si pauvres qu’elles ne nourrissent guère mieux que leurs espoirs. Au sommet, Serge Witte, ministre des Finances, joue la carte de la modernisation et attire les investissements étrangers. Le rouble s’adosse à l’or, le réseau ferroviaire explose sous l’ambition et la sueur. Pourtant, ces changements ne profitent qu’à une élite restreinte, et l’effort de Witte finit par attiser une classe ouvrière en colère.
Dans cette atmosphère explosive, le peuple russe, exténué et frustré, attend du nouveau tsar une réponse, un élan, voire un miracle. Ce miracle ne viendra pas.
Un Tsar malgré lui : la figure de Nicolas II
Ce n’est pas un tsar mais un jeune homme un peu gauche, éduqué pour être un aristocrate docile, qui devient le maître de la Russie. Nicolas II, jeté au sommet après la mort prématurée de son père, n’a rien du despote flamboyant ni du réformateur inspiré. Lui-même le sait, lui-même l’avoue, désarmé : « Je ne suis même pas un chef militaire, je n’ai aucune connaissance de la gouvernance. » Mais la Russie, elle, ne lui laissera pas cette faiblesse.
Empêtré dans une vision mystique du pouvoir, Nicolas croit que son règne est sacré et immuable, qu’il doit défendre coûte que coûte cette autocratie que lui a léguée son père. Mais ses actes ressemblent plus à des gestes désespérés qu’à des décisions souveraines. Marié à Alix de Hesse-Darmstadt, devenue Alexandra Feodorovna, il se laisse happer par sa foi orthodoxe intense et par un amour farouche de l’ordre. Ce tsar qui aurait pu régner avec éclat se révèle un tsar malgré lui, un homme qui, pour tout dire, semble plus hanté par le trône que maître de lui.
Les premiers défis du règne : une Russie aux pieds d'argile
À peine les dorures de son couronnement sont-elles fanées que Nicolas II fait face à une Russie en ruines. Dans les villes, les ouvriers, confinés dans des conditions de vie misérables, découvrent les plaisirs amers de l’industrialisation. Dans les campagnes, les paysans crient famine, écrasés sous des impôts qui se moquent bien de la misère. La tension monte, et Nicolas, sourd aux appels des zemstvos, s’entête à régner d’une main de fer, convaincu qu’abandonner un seul pouce d’autorité serait signer son arrêt de mort.
Les troubles se multiplient, et le tsar, dans une naïveté surprenante, se persuade que son empire résistera aux tourments. En 1905, pourtant, la Russie explose lors du Dimanche rouge : des manifestants pacifiques sont abattus sous ses fenêtres, et le pays, en deuil et en rage, exige du changement. Le tsar concède une Douma, mais c’est une coquille vide, un simulacre d’ouverture qui ne trompe personne. Le peuple, lui, sent déjà le parfum de la révolution.
Les prémices d'une fin tragique : une monarchie à bout de souffle
Les événements de 1905 n’étaient que les prémices de ce que la Russie réserve à Nicolas II. Une défaite humiliante contre le Japon en 1905 le plonge dans le ridicule. L’autocratie vacille, chancelante. Mais Nicolas, toujours, s’accroche, comme s’il voyait dans cet entêtement le dernier rempart de sa dignité. Sa position est intenable, son règne une succession de catastrophes. La guerre mondiale s’en mêle en 1914. Pour honorer des alliances plus destructrices que protectrices, la Russie entre dans le conflit. Mais elle y entre sans ressources, sans préparation, et avec une armée d’hommes sacrifiés sur l’autel d’un idéal déjà défunt.
En 1917, c’est la rupture : le peuple, éreinté par la misère et la faim, ne lui accorde plus la moindre chance. La monarchie est abolie, et Nicolas abdique en mars, achevant trois siècles de règne des Romanov. Son destin, comme scellé par les dieux de l’histoire, s’achève en tragédie : exilé, enfermé, il est exécuté avec sa famille. L’ultime acte d’un empereur devenu spectateur de sa propre chute. Symbole d’une Russie en quête de renouveau, Nicolas II n’est plus qu’un souvenir amer, un nom sur une lignée éteinte, et une ombre qui ne cesse de hanter le rêve russe.
Chronologie
Toutes les dates avant 1918 sont indiquées selon le calendrier grégorien, avec les dates juliennes entre parenthèses.
1861 – 15 mars (3 mars) : Abolition du servage
Le tsar Alexandre II décrète l’abolition du servage, libérant environ 23 millions de paysans russes. Cependant, les terres sont distribuées via le système du mir (commune paysanne), qui en gère la redistribution. Les paysans n’en deviennent pas directement propriétaires : les terres sont périodiquement redistribuées par le mir, ce qui limite leur liberté de quitter le village ou d’améliorer leurs conditions. De plus, pour acheter leurs lopins, ils doivent rembourser sur 49 ans avec un taux d’intérêt de 5,6 %, les plongeant dans un cycle de dettes. Les meilleures terres restent aux nobles, tandis que les paysans héritent souvent de parcelles peu productives, alimentant leur mécontentement et préparant le terrain pour les révoltes paysannes à venir.
1866 – 16 avril (4 avril) : Premier attentat contre Alexandre II
Un étudiant révolutionnaire, Dmitri Karakozov, tente d’assassiner le tsar Alexandre II à Saint-Pétersbourg. Cet attentat marque le début de la montée des mouvements révolutionnaires cherchant à remettre en cause l’autocratie.
1873 – 3 novembre (22 octobre) : Alliance des Trois Empereurs
Alexandre II forme une alliance avec l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois pour stabiliser l’Europe centrale. Cette alliance s’effrite progressivement, et la Russie se tourne par la suite vers la France.
1881 – 25 mars (13 mars) : Assassinat d’Alexandre II
Alexandre II est tué par une bombe lors d’un attentat perpétré par le groupe révolutionnaire Narodnaïa Volia à Saint-Pétersbourg. Son successeur, Alexandre III, adopte une politique de répression et de renforcement de l’autocratie pour lutter contre les menaces révolutionnaires.
1891 – Début de la construction du Transsibérien
Le ministre des Finances Serge Witte lance la construction du chemin de fer transsibérien, un projet titanesque visant à relier les régions de l’ouest et de l’est de l’empire russe. Cette infrastructure symbolise la modernisation économique entreprise par Alexandre III.
1892 – Alliance franco-russe
La Russie et la France forment une alliance militaire stratégique pour contrer la montée en puissance de l’Allemagne. Cet accord marque un tournant pour la politique étrangère russe, qui se détache de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.
1894 – 14 novembre (1er novembre) : Accession de Nicolas II au trône
Nicolas II devient tsar à l’âge de 26 ans, à la suite de la mort prématurée de son père, Alexandre III. Peu préparé, il hérite d’un empire en quête de modernisation mais gangrené par des tensions sociales et des inégalités croissantes.
1906 – 10 mai (27 avril) : Première Douma
La première Douma est convoquée en avril 1906, mais elle est rapidement dissoute en juillet de la même année en raison de ses critiques envers le régime.
1907 – 29 juin (16 juin) : Deuxième Douma dissoute
La deuxième Douma, formée avec des réformistes et des socialistes, est dissoute par Nicolas II. Une nouvelle législation électorale limite le droit de vote aux propriétaires terriens, réduisant ainsi l’influence des classes populaires.
1907 – 1er novembre (19 octobre) : Élection de la troisième Douma
La troisième Douma, dominée par les conservateurs grâce à la réforme électorale, est élue et siégera jusqu’en 1912. Elle soutient les réformes de Stolypine, mais reste largement sous le contrôle du tsar.
1912 – 15 novembre (2 novembre) : Élection de la quatrième Douma
La quatrième Douma, également dominée par les conservateurs, est élue et sera la dernière Douma de l’Empire russe. Les tensions croissantes liées à la guerre finissent par la marginaliser.
1917 – 2 mars (15 mars) : Abdication de Nicolas II
Face aux privations, aux pertes militaires et aux émeutes de Petrograd, Nicolas II abdique sous la pression des révolutionnaires et des élites militaires. La monarchie est officiellement abolie, et un gouvernement provisoire prend le pouvoir.
1917 – 25 novembre (12 novembre) : Élection de l’Assemblée constituante
La première élection libre en Russie est organisée pour élire l’Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle constitution. Les bolcheviks, bien qu’en minorité, dissolvent cette assemblée, dès la fin de la première journée de session en janvier 1918. Une nouvelle dictature est née.
1917 – 7 novembre (25 octobre) : Révolution d’Octobre et prise de pouvoir par les bolcheviks
Les bolcheviks, sous la direction de Lénine, renversent le gouvernement provisoire par un coup d’État armé à Petrograd. Ce soulèvement marque le début de la dictature bolchevique et de l’instauration du régime soviétique.
1918 – 30 juillet (17 juillet) : Exécution de Nicolas II et de sa famille
Après plus d’un an de captivité, Nicolas II, son épouse Alexandra et leurs enfants sont exécutés par les bolcheviks à Ekaterinbourg. Cet acte marque la fin définitive de la dynastie Romanov et l’établissement du régime soviétique en Russie.
Video
Ce qu'il faut retenir
-
Un héritage impérial complexe : Nicolas II accède au trône en 1894, dans une Russie marquée par une industrialisation rapide mais inégale, un fossé grandissant entre élites et paysans, et des tensions sociales croissantes.
-
Un tsar peu préparé et une vision autocratique : Peu formé et influencé par une foi orthodoxe intense, Nicolas tente de maintenir un pouvoir absolu, héritant de la rigueur de son père et rejetant les appels aux réformes politiques.
-
Des efforts de modernisation sous tension : Sous le ministre Serge Witte, la Russie modernise ses infrastructures, avec une croissance industrielle soutenue par des capitaux étrangers. Cette dépendance aux investissements européens expose néanmoins l’économie russe à de fortes vulnérabilités.
-
Crises sociales et échec des réformes : Les conditions de vie des ouvriers et paysans engendrent grèves et révoltes, exacerbées par l’humiliation de la guerre russo-japonaise. Les tentatives de réforme, comme la création de la Douma, restent largement limitées.
-
Contexte géopolitique et Première Guerre mondiale : Alliée de la France, la Russie est entraînée dans la Première Guerre mondiale, où les pertes humaines et les pénuries plongent l'empire dans le chaos.
-
La chute des Romanov : En 1917, face aux émeutes et au désastre militaire, Nicolas II abdique. Un an plus tard, lui et sa famille sont exécutés, marquant la fin de la dynastie des Romanov et l’avènement d’une ère révolutionnaire en Russie.
En savoir plus
« Nicolas II de Russie » de Henri Troyat (Éditions Flammarion) – Biographie approfondie de Nicolas II par Henri Troyat, qui explore la personnalité complexe du dernier tsar et les événements dramatiques de son règne.
« Les derniers jours des Romanov » de Robert K. Massie (Éditions Perrin). Cet ouvrage détaille les derniers moments de la famille Romanov et propose une analyse des raisons qui ont conduit à la chute de l’empire.
« La Russie en 1917 : La chute du régime tsariste » de Marc Ferro (Éditions Gallimard). Cet historien spécialiste de la Russie, décrit les événements et les bouleversements de l’année révolutionnaire qui scella le sort de la monarchie.
« Les réformes agraires en Russie » de Pierre Pascal (Éditions L’Harmattan)
Une analyse des réformes agraires russes, offrant une perspective sur les problèmes fonciers qui ont alimenté le mécontentement paysan sous les Romanov.
Similaire
En savoir plus sur SAPERE
Subscribe to get the latest posts sent to your email.





Bien joué!
C’était un excellent apprentissage.
Merci pour ce retour, le tout premier.😃