PASKEVITCH, Ivan portrait de Franz Krüger 1834- Ermitage

Ivan Paskevitch : le bras armé du tsar, un homme qui fit trembler des empires

Ivan Fiodorovitch Paskevitch. Ce nom seul suffit à figer d’effroi le Caucase et à plonger l’Europe centrale dans une torpeur angoissée. Né en 1782 à Poltava, dans une province lointaine de l’Empire russe, Paskevitch n’est pas seulement un général. Il incarne l’expansionnisme implacable du tsar, le marteau qui écrase les peuples sous l’égide impériale. Prince de Varsovie, comte d’Érevan, feld-maréchal décoré de tous les ordres russes et étrangers, Paskevitch est plus qu’un stratège : il est le bourreau méthodique de la Pologne, le conquérant redouté de la Perse, et l’impitoyable oppresseur de la Hongrie. Si l’Histoire se souvient de lui, ce n’est pas uniquement pour ses victoires éclatantes, mais pour l’ombre de cruauté qu’il a laissée partout où il a foulé le sol.

Une ascension fulgurante, ou l’art d’écraser tout obstacle

Paskevitch n’a pas simplement gravi les échelons de l’armée impériale : il les a avalés, dévorés, anéantis. Issu d’une noble famille ukrainienne, il entre très jeune dans le prestigieux Corps des Pages, la pépinière de l’élite militaire russe. Mais pour Paskevitch, il ne s’agit pas d’une simple carrière. Non, il enchaîne les succès militaires comme d’autres collectionnent des trophées. Dès 1805, il se retrouve sur le front, combattant Napoléon. Et ce n’était que le début. À peine les canons de France ont-ils cessé de tonner que la Turquie, la Perse et la Pologne tombent sous son joug de fer.

Paskevitch n’était pas un simple général parmi d’autres. Il incarnait le soldat modèle du tsar, celui qui ne se contentait pas de suivre des ordres : il transformait les ambitions impériales en réalités brutales sur le terrain. Là où certains auraient vu une bataille, lui voyait une victoire totale ou rien. C’est avec cette même soif de domination qu’il allait marquer de son empreinte sanglante la Perse en 1827, puis la Pologne, et enfin la Hongrie, écrasant tous ceux qui osaient se dresser contre la volonté de son maître.

Le conquérant implacable : Érevan, symbole de sa toute-puissance

La Perse pense encore pouvoir tenir tête à l’Empire russe. Grave erreur. Ivan Paskevitch, à la tête de ses troupes, traverse le Caucase comme un ouragan destructeur. Il ne s’agit plus de simples manœuvres militaires, mais d’une démonstration de force inégalée. Lorsqu’il arrive devant Erevan, cette forteresse perse, réputée imprenable, tout semble jouer en faveur des défenseurs. Mais Paskevitch ne connaît pas le mot « imprenable ». En six jours à peine, il réduit à néant des siècles de domination perse dans la région. Son siège est implacable, sa stratégie parfaite. Lorsqu’Erevan tombe le 1er octobre 1827, c’est bien plus qu’une victoire militaire : c’est un coup fatal porté à l’Empire perse, une humiliation totale.

La prise d’Erevan est un moment décisif, non seulement pour la Russie, mais pour Paskevitch lui-même. Il devient comte d’Érevan, récompensé par des montagnes de roubles, et entre dans l’histoire comme celui qui a redéfini le Caucase. Le traité de Turkmanchai, signé en 1828, officialise la cession des terres persanes à l’Empire russe. Ce que personne n’avait réussi à faire en trois siècles, Paskevitch l’avait accompli en quelques mois. Mais pour lui, la Perse n’était qu’un prélude. Il avait des projets bien plus vastes.

Le bourreau de la Pologne

La Pologne se soulève. Le peuple polonais, sous l’oppression russe, ose rêver de liberté, d’indépendance. Mais ces rêves se heurtent rapidement à une réalité brutale : Ivan Paskevitch, le bras droit du tsar, est envoyé pour écraser cette révolte. Et il le fait avec la froideur d’un chirurgien. En quelques mois, Paskevitch met à genoux une Pologne entière. Varsovie tombe en août 1831, et avec elle, tous les espoirs de la nation. Mais Paskevitch ne se contente pas de vaincre militairement. Nommé prince de Varsovie et vice-roi de Pologne, il impose un régime de terreur et de répression sans précédent. Les Polonais appellent cette période la « nuit de Paskevitch », tant son règne est synonyme de souffrance et d’anéantissement.

Sous son commandement, la Pologne subit une russification forcée : la langue russe devient obligatoire, les institutions polonaises sont démantelées, et l’Église catholique est marginalisée. Pour Paskevitch, il ne suffit pas de conquérir un territoire ; il faut aussi effacer toute trace de son identité pour mieux le soumettre. Mais loin de briser l’esprit polonais, sa brutalité ne fait qu’enflammer davantage le désir d’indépendance. Pourtant, à court terme, il a réussi : la Pologne est pacifiée, et Paskevitch reçoit du tsar tous les honneurs possibles.

L'oppresseur de la Hongrie : l’ombre s’étend sur l’Europe

Après avoir écrasé la Perse et la Pologne, Paskevitch se voit confier une nouvelle mission : mater la révolte hongroise contre l’Autriche. L’Europe est secouée par les mouvements révolutionnaires de 1848, et les Hongrois, menés par des nationalistes enragés, se battent pour leur indépendance. Mais lorsque Paskevitch entre en scène, tout change. Sa réputation le précède. En quelques mois, il fait plier la Hongrie avec la même efficacité redoutable qu’en Pologne. Les troupes révolutionnaires sont pulvérisées, les chefs capturés, et l’insurrection est écrasée dans le sang.

Paskevitch ne laisse aucune chance. Sa méthode : l’étouffement total. Là encore, sa réputation de bourreau n’est plus à faire. À chaque victoire, à chaque conquête, il impose la même logique : soumission ou destruction. Rien d’autre. La Hongrie, comme la Pologne avant elle, doit apprendre à vivre sous le joug du tsar, avec Paskevitch comme geôlier.

Un homme façonné par l’empire ou un empire façonné par l’homme ?

 

Ivan Paskevitch n’est pas un simple soldat : il est l’incarnation de la Russie tsariste dans tout ce qu’elle a de plus brutal et autoritaire. Mais la question reste : qui a façonné qui ? Est-ce Paskevitch qui s’est adapté aux ambitions impitoyables de Nicolas Ier, ou bien est-ce l’empire qui a trouvé en lui le parfait instrument de sa soif de pouvoir ? Probablement les deux. Car si Paskevitch a servi l’Empire, il l’a aussi redéfini. Ses campagnes ne sont pas seulement des succès militaires : elles sont l’expression pure et dure de la domination impériale. Chaque victoire de Paskevitch est une pierre de plus dans l’édifice tsariste.

Mais ce que l’histoire retiendra de lui, c’est que partout où il est passé, il a laissé derrière lui des peuples brisés, des révoltes étouffées, et des espoirs d’indépendance réduits en cendres. Paskevitch n’était pas seulement un homme d’armes. Il était un bâtisseur d’empires, un destructeur de nations, et un nom gravé dans l’histoire aux côtés des plus grands conquérants. Mais avec lui, chaque victoire avait un goût de terreur.

Ivan Paskevitch. Un nom qui, aujourd’hui encore, résonne comme un avertissement dans l’histoire des peuples qu’il a écrasés.

Chronologie

1782 Août 5 – Naissance d’Ivan Paskevitch

Ivan Fiodorovitch Paskevitch naît à Poltava, dans une famille noble ukrainienne, prédestiné à une carrière militaire au service de l’Empire russe.

1805 – Première campagne contre Napoléon, bataille d’Austerlitz

Paskevitch participe à la campagne contre les armées napoléoniennes lors de la bataille d’Austerlitz, où il fait ses premières armes contre l’armée française.

1806-1812 – Guerre russo-turque

Paskevitch prend part à plusieurs batailles clés contre l’Empire ottoman, notamment au siège de Brailov où il est blessé, à la bataille de Silistra et à la prise de l’île de Tchetali.

1808 – Négociations à Constantinople

Paskevitch est chargé de négociations à Constantinople. Accusé d’espionnage, il échappe de justesse à une tentative d’assassinat, et réussit à fuir sur une barque jusqu’à Varna.

1812 – Bataille de Smolensk et campagne contre Napoléon

Lors de l’invasion française, Paskevitch commande la 26e division d’infanterie et se distingue à la bataille de Smolensk, puis à Krasnoï, infligeant de lourdes pertes aux forces napoléoniennes.

1813 – Siège de Modline

Paskevitch commande le siège de Modline pendant six mois, contribuant à la défaite de Napoléon. Il est promu lieutenant-général pour ses efforts.

1814 Mars 17-27 – Batailles en France

Paskevitch participe à la campagne en France, refoulant les forces françaises à Paris, notamment lors des batailles de Bondy, Belleville, et Ménilmontant.

1815 – Occupation de la France

Après la chute de Napoléon, Paskevitch fait partie des forces russes occupant la France, marquant la fin des guerres napoléoniennes.

1826 Août – Début de la guerre russo-persane

Paskevitch est nommé commandant en chef des troupes russes et repousse l’invasion perse en Géorgie. Il inflige une défaite décisive au prince Abbas-Mirza à Elizavetpol.

1827 Septembre 25 – Siège d’Erevan

Paskevitch investit la forteresse d’Erevan. Après six jours d’assaut, il s’empare de la ville et met fin à trois siècles de domination perse en Arménie orientale.

1828 Février 10 – Signature du traité de Turkmanchai

Le traité de Turkmanchai met fin à la guerre russo-persane. La Perse cède l’Arménie orientale à la Russie, consolidant la domination russe dans le Caucase. Paskevitch est fait comte d’Érevan.

1828-1829 – Guerre russo-turque

Paskevitch mène une campagne victorieuse contre l’Empire ottoman, capturant les forteresses de Kars et d’Erzurum, ouvrant la voie à une domination russe accrue dans le Caucase.

1831 Mai – Bataille d’Ostrołęka

Paskevitch prend le commandement des forces russes en Pologne après la mort de son prédécesseur, le maréchal Diébitch, et remporte une victoire décisive contre les insurgés polonais.

1831 Août 26 – Chute de Varsovie

Après un siège intense, Paskevitch prend Varsovie, écrasant l’insurrection polonaise. Il est nommé prince de Varsovie et vice-roi de Pologne, où il impose un régime de russification stricte.

1849 – Intervention en Hongrie

À la demande de l’empereur autrichien, Paskevitch intervient pour réprimer la révolution hongroise, écrasant les insurgés et consolidant l’influence russe en Europe centrale.

1855 – Fin de la carrière de Paskevitch

Paskevitch se retire de ses fonctions après avoir servi l’Empire russe pendant près de cinq décennies. Sa politique de répression en Pologne laisse des traces profondes.

1856 Janvier 20 – Mort de Paskevitch

Ivan Paskevitch meurt à Varsovie à l’âge de 73 ans. Son nom reste associé à ses succès militaires, mais aussi à sa répression cruelle des insurrections polonaises et hongroises.


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