Avant 1906, la Russie n’avait pas de tradition parlementaire nationale établie. Il faut attendre la création et l’élection de la Douma d’Empire pour que s’ouvre la voie à une participation politique beaucoup plus large.
La première Douma est créée en réponse aux manifestations et aux troubles de 1905, résultats de multiples facteurs, notamment :
- un mécontentement populaire ancien mais grandissant contre la pauvreté généralisée.
- des conditions de travail très difficiles et des salaires bas.
- une répression sévère du régime et une absence de libertés civiles, caractérisées par la censure, les arrestations arbitraires et persécutions.
- la défaite militaire humiliante avec le Japon.
Ces troubles ont abouti à des concessions partielles du gouvernement, notamment la promulgation du Manifeste d’octobre 1905, qui a introduit certaines réformes politiques dont l’établissement de la première Douma d’Empire.
En l’absence de culture démocratique, le paysage politique était rarement l’œuvre de partis organisés, à l’exception du parti de Lénine, déjà très structuré. On parlera plutôt de divers mouvements politiques. On vit également émerger à l’occasion du scrutin de nombreuses candidatures d’indépendants et de nationalistes qui saurant attirer les électeurs.
La période de démocratie parlementaire va durer 11 ans, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Lénine en 1917, et sera marquée par la tenue de quatre scrutins électoraux. Les deux premiers ont enregistré environ 10 millions d’électeurs, avant que le régime ne décide de réduire significativement le corps électoral, dans l’objectif réussi d’obtenir une Douma plus conciliante, avec seulement 3,5 millions d’électeurs.
Ces élections ont été cruciales pour l’évolution politique de la Russie, car elles ont permis l’émergence de diverses forces politiques et ont jeté les bases de futurs développements politiques dans le pays.
Les principaux partis ou groupes politiques des 4 Doumas d'Empire
Les Bolcheviks
Dirigeant principal Vladimir Illich OULIANOV dit LENINE-
Disparition du parti :
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Slogan : "Tout le pouvoir au Soviet"
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Presse : La Pravda (100K exemplaires) & L'Etoile rouge (50K)
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Positionnement : Extrême-Gauche
Issu d’une scission du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR) tenu à Londres, le mouvement des Bolcheviks (signifiant majoritaires en russe) prône le renverserment du régime tsariste et du capitalisme par la violence. Contrairement aux mencheviks, ils pensent que la Russie est mûre pour une révolution socialiste immédiate, menée par le prolétariat. Le parti est très structuré et discipliné, ce qui lui permettra de prendre le contrôle des Soviets et de renverser le gouvernement provisoire en octobre 1917 lors de la révolution.
Les bolcheviks recrutent surtout chez les ouvriers et les paysans pauvres. Leur discours radical séduit ces catégories. Le nombre de ses membres va être exponentiel : entre 10,000 et 20,000 en 1905, 46, 000 en 1907, jusqu’à 200,000-250,000 en 1917, devenant le 1ᵉʳ parti du pays.
Principaux dirigeants : Vladimir Ilitch Oulianov dit LENINE (1870 -1924) – Théoricien révolutionnaire / Lev Davidovitch Bronstein dit Léon TROTSKI (1879 – 1940) – Théoricien révolutionnaire & historien /Iossif Vissarionovitch Djougachvili dit Joseph STALINE (1878 – 1953) / Lev Borissovitch Rosenfeld dit KAMENEV (1883-1936) Théoricien révolutionnaire / Grigori Evseïevictch Radomyslsky dit ZINOVIEV (1883-1936) professeur de philosophie.
Les Mencheviks
Dirigeant principal Julius MARTOV-
Disparition du parti : 1921
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Slogan : "La démocratie vers le socialisme"
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Presse : Izgvestia (150K exemplaires) & Novaya Jizn (35K)
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Positionnement : Gauche sociale-démocrate
Issu d’une scission du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (POSDR), le mouvement des Mencheviks, dont le nom signifie « minoritaires » en russe, s’oppose aux Bolcheviks (« majoritaires » en russe).
Les Mencheviks s’inscrivent dans la tradition du socialisme réformiste et non révolutionnaire. Ils défendent l’idée d’une transition pacifique vers le socialisme, en prônant l’établissement d’une monarchie constitutionnelle ainsi qu’une collaboration avec la bourgeoisie libérale. Contrairement aux Bolcheviks qui souhaitent une révolution violente menée par le prolétariat, les Mencheviks croient en une évolution progressive de la société grâce aux réformes. Leur positionnement réformiste les distingue donc nettement des Bolcheviks;
Le militant menchevik type est un ouvrier plutôt qualifié ou intellectuel urbain, quadragénaire, défenseur d’un marxisme orthodoxe et réformiste.
En 1905, lors de la première révolution, les Mencheviks sont très actifs dans les nouveaux Soviets de députés ouvriers qui se forment. Ils y occupent souvent des postes dirigeants. Le mouvement compte alors environ 10,000 membres. Ils seront 3 à 6 fois plus nombreux dix ans plus tard.
En 1917, lors de la révolution de février, les Mencheviks et les SR formeront une majorité dans le Soviet de Petrograd. Les Mencheviks appelleront à soutenir le gouvernement provisoire libéral. Cette position de collaboration de classes sera vivement critiquée par les Bolcheviks, qui prônaient une prise du pouvoir par le prolétariat seul.
Au lendemain de la prise de pouvoir par Lénine, les Mencheviks seront évincés.
Principaux dirigeants : Julius MARTOV (1873-1923) journaliste russe / Pavel AXELROD (1850-1928) industrie belarusse / Georgi PLEKHANOV (1856-1918) philisophe, historien et père du marxisme russe.
Parti Socialiste Révolutionnaire (SR)
Dirigeant principal : Victor TCHERNOV-
Disparition du parti : 1918
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Slogan : "La terre aux paysans"
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Presse : La Parole libre (40K exemplaires)
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Positionnement : Gauche
Le Parti socialiste révolutionnaire (SR) est un parti très hétérogène et il est considéré comme le principal parti de gauche en Russie. Né de la fusion de divers groupes populistes et socialistes actifs à la fin du 19ᵉ siècle et influencés par le mouvement “Narodnik”, ce mouvement se montre méfiant vis-à-vis du capitalisme et de l’industrialisation. Fortement influencé par le concept de “volonté du peuple”, il croit en une révolution établie sur la paysannerie russe plutôt que sur le prolétariat industriel. Il vise notamment:
- à réaliser une révolution agraire complète, visant à confisquer les terres aux grands propriétaires fonciers pour les redistribuer aux paysans, soit sous forme de propriété collective, soit en petite propriété indépendante.
- à renverser le régime tsariste par l’établissement d’une république, avec des élections libres, le suffrage universel et la mise en place d’une assemblée constituante élue démocratiquement.
- à décentraliser le pouvoir.
- à nationaliser certains secteurs économiques comme les banques, les transports ou l’industrie minière.
- à l’amnistie pour les prisonniers et exilés politiques. Beaucoup de membres du parti ont été emprisonnés pour leurs actions violentes contre le régime tsariste.
Il rassemble différents courants couvrant un large éventail allant l’extrême gauche au centre droit. Contrairement aux sociaux-démocrates influencés par le marxisme et le prolétariat urbain, les socialistes révolutionnaires considèrent la paysannerie comme le principal acteur de changement.
Le parti va connaitre une croissance rapide de ses effectifs, passant de quelques milliers en 1905 pour atteindre plusieurs centaines de milliers en 1917. Il bénéficie par ailleurs d’un soutien massif des paysans et attire des étudiants ainsi que des intellectuels radicaux. En 1917, les SR s’allieront aux partis modérés comme les Cadets et les mencheviks.
Principaux dirigeants : Le centre majoritaire, incarné par Viktor TCHERNOV (1873 – 1952) Théoricien politique / L’aile gauche, la plus radicale, connue sous le nom de “combattants”, avec des figures comme Maria SPIRIDONOVA (1884-1941) élue députée à l’Assemblée Constituante de 1917, ou Evno AZEV (1869-1918) dirigeant de l’aile terroriste et agent double au service de l’Okhrana et demasqué en 1908 & Boris SAVINKOV (1879-1925) écrivain polonais et terroriste.
Cette faction extrémiste a recouru au début du 20ᵉ siècle au terrorisme, aux assassinats politiques et à la guérilla en milieu rural.
en savoir plus…
- Assassinat de Vladimir Dmitrievich Sipyagin (28 avril 1902), ministre de l’Intérieur (1899-1902), au Palais Marie, par l’étudiant Stepan Balmachov, lors d’un attentat à la bombe à Saint-Pétersbourg.
- Assassinat de Vyacheslav Plehve (28 juillet 1904) : ministre de l’Intérieur du gouvernement tsariste (1902-1904) est assassiné à son tour par Ivan Kalyayev, dans un attentat à la bombe à Saint-Pétersbourg.
- Assassinat du grand-duc Serge Alexandrovitch (17 février 1905) : Le grand-duc Serge Alexandrovitch, oncle du tsar Nicolas II, a été assassiné dans un attentat à la bombe à Moscou par Ivan Kalyayev, le même membre du PSR responsable de l’assassinat de Plehve.
- Attentat du gouverneur général de Moscou, Fiodor Dubasov (23 avril 1906) : Le PSR a revendiqué la tentative d’assassinat du gouverneur général de Moscou, Fiodor Dubasov, à Moscou.
- Attentat contre le ministre de l’Intérieur, Ivan Goremykin (2 juin 1907) : Un membre du PSR, Bogrov, a tiré sur le ministre de l’Intérieur Ivan Goremykin à Kiev. Goremykin a survécu à l’attentat.
Parti du Travail (Truvodik)
Dirigeant principal :-
Disparition du parti : 1918
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Slogan : "Ni capitalisme, ni dictature du prolétariat"
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Presse : pas de quotidien national
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Positionnement : Gauche modérée
Le parti est fondé par des députés socialistes modérés de la première Douma d’État, en réaction contre l’orientation radicale et marxiste du POSDR. Il est essentiellement composé de représentants paysans, mais également d’intellectuels et de syndicalistes qui défendent un socialisme modéré et réformiste. Il rejette ainsi la lutte des classes et la dictature du prolétariat. Le parti soutient les droits des paysans et une redistribution des terres pour lutter contre les profondes inégalités foncières en Russie. Dans le spectre politique de l’époque, ils se situaient entre les libéraux comme les Cadets et les groupes socialistes plus radicaux.
Le nombre de ses militants est resté numériquement faible, ne dépassant pas quelques milliers, manquant donc d’assise populaire.
Principaux dirigeants : comme il s’agit d’un groupe informel il n’y a pas de leader distinct comme d’autres partis. Alexandre CHKLOVSKI (1865-1935) juriste et membre fondateur & Alexandre KERENSKI (1881 –1970) en était proche – Avocat
Parti Progressiste
Dirigeant principal : Alexandre KONOVALOV-
Disparition du parti :
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Slogan : pas de slogan
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Presse : pas de quotidien national
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Positionnement : Centre
Le Parti progressiste a été fondé en 1912, principalement par d’anciens membres du groupe des Octobristes et d’autres libéraux modérés. Il est proche idéologiquement des Cadets (Kd). Il s’est constitué en réponse à la stagnation politique et aux régressions sous le régime de Nicolas II. Favorable aux réformes constitutionnelles, il défend une plus grande autonomie locale, la promotion de l’économie de marché et une modernisation générale de l’Empire russe. Cependant, contrairement à certains autres groupes libéraux, comme les KD, les progressistes sont moins radicaux et cherchent souvent un compromis avec le pouvoir tsariste.
Principal dirigeant : Alexandre Ivanovicth KONOVALOV (1875–1949), l’un des plus importants industriels de textile de Russie et ministre du Commerce et de l’Industrie dans le gouvernement provisoire de 1917.
Parti Constitutionnel Démocrate (KD)
Dirigeant principal : Pavel MILIOUKOV-
Disparition du parti : Décembre 1917
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Slogan : "Compétences et travail acharné au profit de la patrie"
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Presse : Retch (60 K exemplaires)
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Positionnement : Centre Libéral
Communément appelé “Cadets”, le Parti Constitutionnel Démocrate était le principal Parti libéral en Russie au début du 20ᵉ siècle. Fondé en 1905, il rassemble principalement des intellectuels, des professionnels, des membres de la bourgeoisie et de la noblesse libérale. Ils aspirent à une transformation de la Russie en une monarchie constitutionnelle sur le modèle des pays occidentaux. Ils prônent des réformes démocratiques, dont une plus grande liberté d’expression, le suffrage universel et l’établissement d’une assemblée législative élue qui aurait un réel pouvoir face au tsar, ainsi que l’établissement d’une justice indépendante. Comparés aux socialistes et aux révolutionnaires, ils sont modérés en cherchant à réaliser des changements par des voies législatives et réformistes. Sur le plan économique, il revendique le libre-échange et défend les intérêts de la bourgeoisie commerçante. Il ne propose pas de redistribution des terres.
Le nombre d’adhérents est estimé en 1907 à 30,000 et 50, 000 en 1917. Cependant, sa base électorale et ses soutiens étaient bien plus larges. Ainsi, lors des élections à la Première Douma en 1906, le KD a récolté environ 1,8 million de voix. Son électorat est principalement les classes moyennes urbaines, les professions libérales et les commerçants. Il a peu d’écho en revanche auprès des paysans et ouvriers.
Très influent dans les deux premières Doumas, le KD perd de son influence par la suite. Il joue un rôle moteur dans la révolution de Février 1917 mais est marginalisé après Octobre 1917.
Principaux dirigeants : Pavel MILIOUKOV (1859 – 1943) Historien issu de la bourgeoisie urbaine et ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement provisoire de 1917 / Prince Paul DOLGOROUKOV (1866-1945) issue de la haute noblesse russe, il fut l’un des dirigeants de l’aile droite modérée du KD / Serge de PROTOPOPOV (1866-1938) riche propriétaire terrien, il représente l’aile gauche plus progressiste du KD. Il participera au gouvernement provisoire de 1917 / Alexandre KARTACHEV (1875-1960) député à la Première Douma. Ministre dans le gouvernement provisoire de 1917.
Octobriste
Dirigeant principal : Alexandre GOUTCHKOV-
Disparition du parti : 1917
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Slogan : " Tout pour le peuple, Tout par le Tsar"
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Presse : La voix de Moscou (50K exemplaires)
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Positionnement : Conservateur modéré libéral
Le Parti Octobriste officiellement appelé le Parti de l’Union du 17 Octobre regroupe des conservateurs modérés qui soutiennent le Manifeste publié par Nicolas II en 1905. Ils souhaitent une collaboration étroite avec la couronne, tout en acceptant la nécessité de certaines réformes modernisatrices pour stabiliser et renforcer l’Empire. Contrairement aux libéraux des Cadets, ils ne sont pas en faveur d’une réduction significative du pouvoir autocratique du tsar, et sont partisans d’un Parlement consultatif. Ils prônent une modernisation économique et sociale prudente de la Russie, sans redistribution des terres, avec la création d’une banque centrale et une améliorations sociales ciblées pour les ouvriers (durée du travail, hygiène, logement).
Ils représentent principalement les intérêts des classes moyennes urbaines, des propriétaires fonciers modérés, de certains industriels et de la noblesse.
Sur le spectre politique de l’époque, les Octobristes se situent entre les libéraux progressistes comme les Cadets et les groupes monarchistes ultra-conservateurs.
Principaux dirigeants : Alexandre GOUTCHKOV (1862–1936) – Entrepreneur / Alexander Ivanovitch CHOULGUINE (1878-1937) – Noble terrien, Président du comité central du parti octobriste / Mikhaïl Vladimirovitch ALEXEÏEV (1857-1918) – Général de l’armée et Chef d’état-major général par Nicolas II pendant la guerre.
Les Nationalistes, les Indépendants & Les Autres mouvements : La Russie tsariste est un vaste empire composé de plus de cent nationalités. Faute de tradition parlementaire, un grand nombre de candidats se sont présentés sans étiquette. Une fois élus, beaucoup d’entre eux auront des inclinaisons politiques identifiables ou proches de certaines factions ou groupes d’intérêt.
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