Nationalisme en Europe : Histoire et Acteurs
POLITIQUE & HISTOIRE

Nationalisme en Europe : Histoire et Acteurs

Introduction – Une idée qui traverse les siècles

L’évolution du nationalisme en Europe est marquée par une longue maturation historique, passant d’identités culturelles ou religieuses locales à une conception moderne de la nation comme communauté politique souveraine. Si le nationalisme a été un moteur de libération et de cohésion, il s’est aussi mué en idéologie d’exclusion et de violence, en particulier aux XIXe et XXe siècles.

Du Moyen Âge à nos jours, cette idée a changé de forme, d’objectifs et de signification. Comprendre ses mutations est indispensable pour saisir les dynamiques actuelles de replis identitaires, de souverainisme et de populisme.

1. Des identités précoces à la naissance de l’État-nation (Moyen Âge – XVIIe siècle)

Avant même l’émergence des nations modernes, les sociétés européennes étaient organisées autour de communautés d’appartenance : religion, langue, territoire. Ces identités locales, souvent liées à la féodalité ou à la monarchie, posent les fondations symboliques du nationalisme futur.

  • XIVe siècle : Dante évoque une Italie unie, esquissant une conscience proto-nationale à travers la culture et la langue.
  • XVe–XVIIe siècle : Les monarchies européennes centralisent leur pouvoir. Le royaume de France, par exemple, affirme une unité territoriale et juridique qui préfigure l’État-nation.

Ce nationalisme d’avant le nationalisme repose sur l’idée d’unité autour du roi ou de la foi, non encore sur la souveraineté populaire.

2. Le XVIIIe siècle – Révolutions et naissance du nationalisme politique

Le siècle des Lumières transforme profondément la conception de l’appartenance politique. La nation cesse d’être confondue avec la monarchie pour devenir une communauté de citoyens souverains.

  • Révolution américaine (1776) et Révolution française (1789) : deux événements fondateurs du nationalisme moderne. Ils affirment que la nation est la seule source de légitimité politique.
  • Montesquieu, Rousseau, Vattel : leurs écrits contribuent à théoriser l’État souverain, la volonté générale, et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
  • Années 1790 : L’armée révolutionnaire française exporte ces principes à travers l’Europe. Le nationalisme devient également une arme de guerre.

Le nationalisme passe de l’idée à l’action politique, en rupture avec l’ordre monarchique et dynastique.

3. Le XIXe siècle – Nationalisme romantique, unitaire, et impérial

Le XIXe siècle est le siècle d’or du nationalisme. Il s’affirme à la fois comme moteur de libération (dans les empires multinationaux) et comme outil de construction des grandes puissances (Italie, Allemagne).

  • Début du siècle : Les guerres napoléoniennes, loin de créer une Europe unie, attisent les résistances nationales.
  • Congrès de Vienne (1815) : tentative de restauration de l’ordre monarchique, mais les aspirations nationales persistent.
  • Années 1820–1870 : mouvements indépendantistes en Grèce, Italie, Pologne, Hongrie, souvent liés à des idéaux libéraux.
  • 1832 : Indépendance de la Grèce
  • 1861–1870 : Unification de l’Italie
  • 1871 : Unification de l’Allemagne par Bismarck, dans un cadre autoritaire et militaire.

Mais à la fin du siècle, un nationalisme plus agressif se développe. Il devient impérialiste, racialiste et parfois antisémite, comme le montrent les écrits de Gobineau, l’affaire Dreyfus en France, ou la montée du pangermanisme.

Le nationalisme se détache alors de ses origines libérales pour devenir un instrument de hiérarchisation, de domination et d’exclusion.

4. Le XXe siècle – Nationalisme, guerres et totalitarismes

Le XXe siècle montre les deux visages du nationalisme : libérateur dans certains cas, mais souvent destructeur. Il est au cœur des deux guerres mondiales.

Première Guerre mondiale (1914–1918)

Le conflit résulte d’une exacerbation des nationalismes, notamment dans les Balkans et en Europe centrale. Chaque État mobilise ses citoyens en opposant une nation « pure » à des ennemis diabolisés.

L’entre-deux-guerres : du nationalisme au totalitarisme

Les fascismes (Italie, Allemagne, Espagne) détournent le nationalisme en idéologie totalitaire. Le nazisme incarne un nationalisme racialiste fondé sur l’exclusion, l’expansion et l’extermination.

Seconde Guerre mondiale (1939–1945)

Apogée d’un nationalisme exterminateur, conduisant au génocide des Juifs d’Europe, des Tsiganes et à des guerres d’anéantissement.

Le nationalisme devient synonyme de barbarie idéologique, justifiant une rupture profonde en Europe occidentale après 1945.

5. Depuis 1945 – Déclin, résurgence et mutation contemporaine

Après la guerre, en Europe de l’Ouest, le nationalisme recule au profit de l’intégration européenne, du droit international, et d’une redéfinition des identités collectives. Mais ce déclin est ni universel ni irréversible.

  • Années 1950–1990 : L’Europe de l’Ouest mise sur la paix et l’économie, tandis que les nationalismes restent enfouis ou réprimés à l’Est sous le communisme.
  • Années 1990 : La chute du bloc soviétique provoque une résurgence brutale des nationalismes en ex-Yougoslavie, en Ukraine, dans le Caucase, souvent sous forme de conflits armés.
  • Années 2000–2020 : En Europe de l’Ouest, les nationalismes réapparaissent sous des formes nouvelles : populisme souverainiste, rejet de l’immigration, critique de l’Union européenne.
  • Montée du FN/RN en France, de l’AfD en Allemagne, du Fidesz en Hongrie, de Vox en Espagne, etc.

Le nationalisme du XXIe siècle n’est plus nécessairement expansionniste, mais défensif et identitaire. Il s’articule autour de la peur de la mondialisation, du déclin culturel, et du ressentiment envers les élites.

Conclusion – Une idéologie en perpétuelle recomposition

Le nationalisme européen ne suit pas une trajectoire linéaire. Il oscille entre émancipation et oppression, entre révolution démocratique et totalitarisme. Aujourd’hui, il revient au cœur des débats politiques non comme nostalgie impériale, mais comme réaction aux fractures démocratiques et aux insécurités contemporaines.

Comprendre son histoire, ses mutations et ses usages idéologiques est indispensable pour en mesurer les dangers… comme les aspirations légitimes qu’il peut encore cristalliser.

Pour aller plus loin

  • Benedict Anderson, Imagined Communities : un ouvrage fondateur sur la nation comme construction sociale.
  • Ernest Gellner, Nations et nationalisme : une analyse sociologique du nationalisme moderne.
  • Hans Kohn, The Idea of Nationalism : distinction entre nationalisme occidental (civique) et oriental (ethnique).
  • Pierre-André Taguieff, La revanche du nationalisme : sur les résurgences contemporaines en Europe.
  • Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales : étude magistrale sur la fabrique culturelle des nations en Europe au XIXe siècle.
  • Tony Judt, Après-guerre : un regard lucide sur les reconstructions post-1945 et les recompositions identitaires.

Quelques personnages clés

 


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