Sarah Mullally à Canterbury : révolution lente ou camouflage durable ?

L’histoire s’est écrite le 3 octobre 2025 : pour la première fois de son histoire, une femme a été nommée archevêque de Canterbury. Sarah Mullally, infirmière de formation, devient ainsi le 106ᵉ Primat de l’Église d’Angleterre. L’événement est majeur, mais il faut se garder de tout triomphalisme. S’agit-il d’une révolution en marche ou, plus crûment, d’un camouflage institutionnel, une réponse cosmétique à une crise systémique ?

Un trône devenu siège éjectable

Avant d’être un sacre, cette nomination est un aveu. Sarah Mullally hérite d’une Église en crise profonde, minée sur deux fronts. Moralement, elle est discréditée par des décennies de scandales d’abus sexuels et leur gestion catastrophique, mise en lumière par des rapports accablants comme l’IICSA (Enquête Indépendante sur les Abus Sexuels sur Enfants). La démission même de son prédécesseur est liée à ces manquements systémiques. Doctrinalement, elle est fracturée entre ses provinces occidentales, plus libérales sur l’inclusion des personnes LGBTQ+, et un Sud global, notamment africain, majoritairement conservateur et qui menace de rompre.

C’est dans ce contexte que Mullally arrive, sur ce que les sociologues nomment une « falaise de verre » : un poste de direction offert à une femme au moment précis où le risque d’échec est le plus élevé. Ce n’est pas un geste audacieux ; c’est une opération de gestion de crise.

Une révolution sans rupture ?

 L’espoir réside dans son profil singulier : ni théologienne universitaire de la trempe d’un Rowan Williams, ni pur ecclésiastique, mais praticienne du soin. Face à une Église perçue comme moralement défaillante, une figure issue de la santé publique peut apporter une autorité différente : incarnée, pragmatique, et orientée vers la protection des personnes plutôt que celle de l’institution. Elle-même a affirmé vouloir être « une bergère qui permet à chaque ministère et vocation de s’épanouir ».

Mais cette espérance ne doit pas masquer l’essentiel : une révolution réelle suppose un point de bascule, un geste fondateur qui brise avec le passé. Ce geste n’est pas encore là. Le soutien de Mullally à l’indépendance des mécanismes d’enquête est un signal bienvenu, mais insuffisant. Un vrai tournant aurait été l’annonce d’un audit externe des diocèses ou la création d’une commission vérité et réconciliation dirigée par des laïcs. Sans de tels actes, le symbole risque de devenir un alibi.

 

Le Parcours de Sarah Mullally

Des services de santé à la tête de l’Église d’Angleterre

Carrière dans la Santé

Infirmière

Début de carrière dans le système de santé public (NHS).

1999

Nommée plus jeune Directrice Générale des Services Infirmiers pour l’Angleterre (à 37 ans).

2005

Reçoit le titre de « Dame » pour sa contribution à la santé publique (à 43 ans).

Carrière Ecclésiastique

2002

Ordonnée prêtre dans l’Église d’Angleterre (à 40 ans).

2015

Consacrée Évêque de Crediton (à 53 ans).

2018

Devient la première femme Évêque de Londres (à 56 ans).

2025

Nommée 106ᵉ Archevêque de Canterbury, Primat de l’Église d’Angleterre (à 63 ans).

 

Un primat sans primauté

Le contexte mondial renforce cette fragilité. Mullally accède à la primature dans une Communion anglicane éclatée. Le réseau GAFCON, représentant une large partie des provinces conservatrices du Sud global, a déjà annoncé ne plus reconnaître l’autorité de Canterbury. Cette division, de facto, la prive de sa position traditionnelle de figure de référence. En d’autres termes : Sarah Mullally devient Primat… sans primauté. Peut-on conduire une réforme ecclésiale majeure à partir d’une position affaiblie et isolée ? L’argument selon lequel « le schisme était déjà consommé » libère peut-être l’Église d’Angleterre de ses alliances les plus rétrogrades, mais il l’expose aussi à une fragmentation de son autorité.

Entre cynisme et espérance : la voie étroite

Faut-il pour autant céder au cynisme ? Non, mais il faut le tempérer d’un réalisme lucide. La distinction entre « révolution lente » et « camouflage durable » se fera sur des actes concrets, courageux, irréversibles. L’attente est claire :

  1. La création de mécanismes de contrôle et de sanction véritablement indépendants, majoritairement laïcs et dotés de pouvoirs réels.

  2. Un audit externe et une transparence totale sur la gestion des archives internes sur les abus.

  3. Une réorganisation profonde du clergé autour de la protection des plus vulnérables.

Sans cela, le risque est grand que cette nomination serve de vernis progressiste à une culture cléricale inchangée.

Un test pour l’avenir de la foi institutionnelle

En définitive, Sarah Mullally incarne moins une révolution accomplie qu’un test décisif pour l’avenir de la foi institutionnelle. L’histoire ecclésiale n’est pas qu’une suite d’échecs ; les réformes post-Vatican II, malgré leurs limites, ont prouvé que même une institution millénaire peut être bousculée de l’intérieur. La question n’est donc plus de savoir si le système est invincible, mais de quelle marge de manœuvre dispose une réformatrice pour initier une transformation partielle, imparfaite, mais réelle.

En tant que catholique, je regarde cet événement comme un miroir tendu à nos propres impasses. Il nous interroge sur notre propre courage à affronter les structures cléricales, à passer des symboles aux actes, et à accepter que la justice exige plus qu’un changement de visage, mais une véritable conversion du pouvoir. C’est une quête de vérité exigeante et partagée, où chaque avancée, même fragile, mérite d’être scrutée avec une espérance critique.

 

L’Église d’Angleterre : Gouvernance et Communauté

Comprendre les rôles clés et l’étendue de la Communion Anglicane.

Le Monarque

Gouverneur Suprême

  • Fondation : L’Église a été fondée en 1534 par le roi Henry VIII après sa rupture avec Rome.
  • Raison de la rupture : Le refus du Pape d’annuler le mariage du roi avec Catherine d’Aragon.
  • Approbation : Approuve formellement la nomination des archevêques sur avis du Premier ministre.
  • « Défenseur de la Foi » : Titre honorifique qui engage le souverain à proteger l’Église.
  • Pas d’ingérence : N’intervient pas dans les questions de doctrine ou de gestion spirituelle.

L’Archevêque de Canterbury

Primat Spirituel

  • Chef spirituel : Plus haute autorité de l’Église d’Angleterre, guide les débats théologiques.
  • « Primat de toute l’Angleterre » : Chef de la hiérarchie du clergé et président du Synode Général.
  • Rôle politique : Siège à la Chambre des Lords où il intervient sur les questions de société.
  • Officiant national : Célèbre les grands événements de la nation (couronnements, mariages royaux…).

La Communauté Anglicane

Chiffres Clés

~85M de fidèles estimés dans la Communion Anglicane mondiale.
165 pays où la Communion Anglicane est présente.
~1M pratiquants réguliers aux services dominicaux en Angleterre.
40+ femmes évêques au sein de l’Église d’Angleterre.
 

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