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Vous êtes pressé ? Découvrez l’essentiel de l’affaire de Blois dans ce podcast.
Vous préférez l’analyse ? Poursuivez votre lecture ci-dessous pour décrypter la mécanique politique du crime.

1588 : Tuer pour régner : Henri III, Guise et la souveraineté

En ce matin glacé du 23 décembre 1588, dans les couloirs feutrés du château de Blois, un homme va mourir pour qu’un royaume renaisse. Ce n’est pas une histoire de crime : c’est une histoire de résurrection politique. Henri de Guise tombe sous les coups de huit spadassinsSpadassins
Terme tiré de l’italien spadaccino (épée). Ici, il désigne les « Quarante-Cinq », la garde gasconne d’Henri III, réputée pour sa fidélité et sa rudesse, contrastant avec la cour.
royaux, et dans son sang se dessinent les contours de l’État moderne français. Paradoxe saisissant : jamais la monarchie n’aura été plus forte que lorsqu’elle aura avoué sa faiblesse en tuant.

L’antichambre de l’agonie : portrait d’un royaume sans roi

Portrait du roi Henri III de France
Henri III, roi de France, par François Quesnel l’Ancien.

Pour comprendre cette révolution par le sang, il faut d’abord mesurer l’ampleur de la déchéance royale. Voici un souverain qui ne règne plus sur rien. Henri III, en cette fin d’année 1588, gouverne un fantôme de royaume. Paris lui échappe depuis la Journée des Barricades : cette humiliation de mai où le peuple catholique a préféré son duc au roi de France. Les États généraux, censés être l’instrument de sa restauration, se transforment en tribunal où ses propres sujets lui dictent sa conduite.

Henri de Guise se pavane dans les couloirs de Blois, mais il ne faut pas s’y tromper : le Balafré n’est pas qu’un simple ambitieux. Il incarne une autre forme de légitimité : charismatique, militaire, populaire et confessionnelle. Il est le « roi de Paris » quand Henri III n’est plus que le roi de Blois, entouré de ses mignonsMignons
Favoris d’Henri III. Souvent caricaturés pour leur raffinement (poudre, bijoux), ils étaient en réalité de redoutables duellistes, prêts à mourir pour l’honneur du roi.
et de ses chapelets.

C’est ce qui rend l’assassinat à venir si décisif : ce n’est pas la mise à mort d’un traître, c’est l’élimination d’un second pouvoir, rival dans l’imaginaire comme dans les faits.

Henri Ier de Lorraine, duc de Guise
Henri Ier de Lorraine, duc de Guise, dit « Le Balafré » (Musée du Louvre).
Ce que peu comprennent, c’est qu’Henri III n’a plus le choix entre la paix et la guerre. Il a le choix entre mourir en roi et survivre en vassal.

Face à cette usurpation rampante soutenue par l’Espagne et acclamée par les prédicateurs parisiens, que peut un roi affaibli ? Négocier, c’est capituler. Fuir, c’est abdiquer. Rester, c’est accepter de n’être qu’un figurant dans son propre royaume. Il ne reste que l’acte souverain par excellence : décider qui vit et qui meurt. Cette décision, Henri III va la prendre à l’aube du 23 décembre.

Le matin du 23 décembre : quand l’histoire bascule sur huit coups d’épée

Henri de Guise pénètre dans la chambre royale avec la confiance de celui qui se croit indispensable. Il pense que le roi va enfin céder, le nommer connétableConnétable de France
Chef suprême des armées royales. Une charge si puissante qu’elle rivalise avec le roi. Richelieu supprimera définitivement cette fonction en 1627.
, entériner sa prise de pouvoir. Il n’a pas compris qu’Henri III a choisi de mourir en roi plutôt que de vivre en otage.

Ce qui se joue dans cette pièce glacée de Blois, c’est bien plus qu’un règlement de comptes personnel. C’est la question de savoir s’il peut exister deux sources de légitimité dans un même royaume. Henri III répond par la négative, avec une brutalité qui sidère l’époque. Huit coups d’épée dans le corps du Balafré, c’est la monarchie qui se rappelle qu’elle seule décide du destin de ses sujets.

L’acte est calculé, non impulsif. Le roi sait qu’il franchit un point de non-retour. En frappant le chef de la LigueLa Ligue (Sainte Ligue)
Organisation politico-militaire catholique (1576-1598) visant à éradiquer le protestantisme et à placer la monarchie sous la tutelle des États généraux.
, il brise le fragile équilibre qui maintenait encore les apparences de la coexistence. Désormais, ce sera la guerre ouverte. Mais ce sera SA guerre, menée selon SES termes, et non plus celle que lui imposent les factions.

Regardez le paradoxe : en avouant sa faiblesse (un roi qui doit tuer pour régner), Henri III retrouve sa force. Il redevient l’acteur principal de son propre drame.

L’épée retombe. Le Balafré s’effondre. Mais l’onde de choc ne fait que commencer.

La clarification tragique : de la solitude royale à la reconquête

Si l’acte de Blois restaure la logique souveraine, il ne restaure pas immédiatement la puissance. Henri III, en tuant Guise, ne rallie pas tout de suite, il rompt. Il perd le clergé de Paris, l’université, une part des élites catholiques. Sa souveraineté s’affirme d’abord dans le vide. Et c’est précisément cette solitude politique qui donne à son geste une intensité tragique : il fonde l’autorité royale sans pouvoir encore l’exercer.

Blason des Ducs de Guise
Armoiries des ducs de Guise.

Repère sur les bastions ligueurs

Paris, l’épicentre

Bastion principal de la Ligue, l’annonce de la mort du duc de Guise a l’effet d’un séisme : la population érige des barricades et proclame ouvertement son refus d’obéir à Henri III, jugé tyrannique.

Reims, symbole royal

Cité du sacre des rois, Reims s’unit à la colère parisienne. Les ligueurs y voient une profanation du pouvoir sacré : l’assassinat d’un Guise annonce le crépuscule de la monarchie valois.

Rouen, place forte

Grand centre économique de Normandie, Rouen se ferme au roi et se range derrière la Ligue pour défendre l’orthodoxie catholique face à un souverain jugé parjure et violent.

Cependant, passé le choc de l’insurrection, l’assassinat produit un effet inattendu de clarification. Finies les triangulations complexes. Le royaume se divise désormais en deux blocs nets : ceux qui acceptent qu’un roi puisse tuer ses sujets pour sauver l’État, et ceux qui le refusent.

Henri III se retrouve ainsi naturellement allié à Henri de Navarre. Non par affinité religieuse, mais par logique institutionnelle. Tous deux défendent la même conception de la souveraineté : indivisisible, non négociable. L’acte de Blois rend possible ce qui était impensable : l’union d’un roi catholique et d’un prétendant protestant contre les partisans d’une théocratie espagnole.

Carte des divisions religieuses en France (1550-1600)
La fracture religieuse : répartition des zones d’influence en France (fin XVIe siècle).

Repère sur les zones protestantes

La Rochelle, une indépendance prudente

On y salue la disparition de l’adversaire le plus farouche des réformés, mais on demeure méfiant. Les pasteurs y voient un signe providentiel, tout en redoutant qu’Henri III ne mène d’autres opérations sanglantes.

Montauban, la fervente

Dans cette citadelle huguenote, la mort de Guise suscite joie et exaltation. Les habitants y proclament leur soutien à Henri de Navarre, considéré comme la meilleure chance d’accéder à plus de tolérance.

Nîmes, entre foi et prudence

Ville calviniste, Nîmes perçoit l’événement comme un tournant. Le souvenir des massacres précédents tempère toutefois l’enthousiasme : les élites locales savent que la guerre civile n’est pas éteinte.

La matrice sanglante de l’absolutisme : comment un crime fonde un système

Cette clarification politique, Henri III n’aura pas le temps d’en récolter les fruits. Huit mois plus tard, il meurt poignardé par Jacques Clément. Ironie tragique : le roi qui a tué par l’épée périt par le poignard. Mais sa mort ne clôt pas le processus qu’il a enclenché. Elle le transmet.

Henri IV hérite d’une situation politiquement clarifiée. Il sait qu’il devra conquérir son royaume les armes à la main, mais il le fera avec une légitimité restaurée. L’assassinat de Guise devient ainsi la matrice de l’absolutisme français. Non pas son modèle, mais son acte fondateur.

Il faut d’ailleurs noter que l’acte de Blois restera sans postérité directe. Ni Richelieu ni Louis XIV ne referont un tel geste. Non parce qu’il fut une faute, mais parce qu’il fut une exception fondatrice. La violence d’État se fera ensuite plus froide, plus procédurale. Le roi ne tue plus de sa main : il fait condamner, exiler, ou domestique à la cour. La souveraineté n’a plus besoin de trancher dans le sang : elle a appris à neutraliser.

La leçon de Blois traverse néanmoins les siècles : mieux vaut un grand neutralisé qu’un rival triomphant.

Les fausses alternatives et les vrais choix

Pourtant, cette leçon dérange. Aujourd’hui encore, certains historiens dénoncent l’alternative de la violence… Mais Henri III avait-il vraiment le choix ? Les contempteurs de l’assassinat évoquent les négociations possibles, les solutions pacifiques. Belle naïveté ! Négocier avec Guise, c’était négocier avec Philippe II. Composer avec la Ligue, c’était accepter que l’Espagne décidât de la succession française.

L’efficacité politique ne se mesure pas à l’apaisement immédiat, nous l’avons vu car le chaos a d’abord redoublé, mais à la capacité de créer des dynamiques durables. L’assassinat de Guise crée la dynamique qui mène à l’Édit de Nantes, à la pacification religieuse, à la grandeur du Grand Siècle.

Ce qu’il faut retenir : la vérité nue du pouvoir

L’histoire ne pardonne pas aux faibles, même quand ils ont raison moralement. Elle pardonne parfois aux forts, même quand ils ont tort éthiquement. Henri III comprend cette loi d’airain : dans un moment de péril existentiel, la souveraineté doit trancher, au sens propre comme au figuré.

L’assassinat d’Henri de Guise n’est ni un crime ni une erreur. C’est un acte politique fondateur. Il marque le moment où la monarchie française refuse de mourir en douceur et choisit de renaître dans la violence. Cette renaissance sera douloureuse, sanglante, mais elle sera française.

Car voilà ce qu’enseigne le 23 décembre 1588 : quand l’État se désagrège, quand les factions rivalisent, quand les puissances étrangères s’ingèrent, il ne reste au pouvoir légitime qu’une ressource ultime. Non pas la négociation (langage des égaux), mais la décision souveraine (privilège des rois).

Henri III tue Henri de Guise comme un roi. Il mourra huit mois plus tard comme un martyr de la monarchie française. Il tue pour régner, meurt pour transmettre : la souveraineté a un prix, il l’a payé.

Chronologie

1562 – Début des Guerres de Religion

Les conflits entre catholiques et protestants éclatent en France, plongeant le royaume dans des décennies de violences politiques et religieuses.

1584 Juin – Mort de François d’Alençon

François d’Alençon, frère cadet et dernier héritier légitime d’Henri III, meurt sans descendance. Selon la loi salique, la couronne revient de facto à Henri de Navarre, cousin protestant d’Henri III, ce qui exacerbe les tensions religieuses dans le royaume.

1584 Juillet – Formation du traité de Joinville

La Ligue catholique, dirigée par Henri de Guise, conclut un accord avec l’Espagne de Philippe II pour contrer Henri de Navarre et imposer un souverain catholique.

1585 Janvier – Déclaration de Nemours

Henri III est contraint de céder aux exigences de la Ligue catholique. Il interdit le protestantisme dans le royaume et déclare Henri de Navarre hors-la-loi.

1587 Octobre 20 – Bataille de Coutras

Henri de Navarre remporte une victoire importante contre l’armée royale, renforçant sa position militaire et politique malgré sa marginalisation officielle.

1588 Mai 12 – Journée des Barricades

Les partisans de la Ligue catholique se soulèvent à Paris, forçant Henri III à fuir la capitale et renforçant l’influence d’Henri de Guise.

1588 Juillet – Signature de l’Édit d’Union

Henri III reconnaît officiellement la Ligue catholique et accepte ses exigences, mais prépare secrètement une riposte pour regagner son autorité.

1588 Décembre 23 – Assassinat d’Henri de Guise

Lors des États généraux de Blois, Henri III fait assassiner Henri de Guise pour tenter de reprendre le contrôle de son royaume. Cet acte provoque une onde de choc dans tout le pays.

1588 Décembre 24 – Assassinat de Louis II de Guise

Le lendemain de la mort de son frère, Louis de Guise, cardinal de Lorraine, est également assassiné sur ordre d’Henri III. Cela marque un point de non-retour dans le conflit entre le roi et la Ligue.

1589 Août – Assassinat d’Henri III

Le roi Henri III est poignardé par Jacques Clément, un moine fanatique, mettant fin à la dynastie des Valois. Avant de mourir, Henri III désigne Henri de Navarre comme son successeur.

1590 Mars 14 – Bataille d’Ivry

Henri de Navarre remporte une victoire décisive contre les forces de la Ligue, consolidant sa position comme prétendant légitime au trône.

1593 – Conversion d’Henri IV au catholicisme

Pour apaiser les tensions religieuses et obtenir la reconnaissance des catholiques, Henri IV abjure le protestantisme, déclarant « Paris vaut bien une messe ».

1598 Avril – Promulgation de l’Édit de Nantes

Henri IV instaure une tolérance limitée envers les protestants, mettant fin aux Guerres de Religion et amorçant une ère de réconciliation fragile.

Clés de lecture : ce qu’éclaire le 23 décembre 1588

Un acte fondateur

L’assassinat du duc de Guise est un geste souverain, non un dérapage. Henri III agit pour empêcher que la monarchie devienne décorative.

La fin d’un monde

Les Valois disparaissent dans la violence, mais la monarchie ne s’effondre pas : Henri IV hérite d’un vide qui appelle une reconstruction politique profonde.

Un royaume clarifié

Le pays se divise nettement : la monarchie française contre ceux qui la livrent à la Ligue et à l’Espagne.

Un conflit européen

En frappant Guise, Henri III défie indirectement Philippe II. La guerre civile devient une lutte continentale pour la souveraineté française.

Un absolutisme pragmatique

Henri IV ne règne pas par sacralité mais par efficacité. Conversion, sacre à Chartres, Édit de Nantes : la monarchie devient un mécanisme politique.

FAQ

Comprendre les enjeux autour de l’assassinat de Guise et l’accession d’Henri IV

Pourquoi Henri de Navarre était-il un héritier légitime malgré son protestantisme ?

Henri de Navarre devient héritier après la mort de François d’Alençon en 1584. La loi salique, pilier de la succession française, impose la primauté des mâles de la lignée royale sans critère religieux. Son protestantisme était un obstacle politique, non juridique.

Quels étaient ses atouts et faiblesses comme prétendant au trône ?

Atouts : légitimité dynastique incontestée, charisme militaire, victoire de Coutras (1587), soutiens internationaux (Angleterre) et modérés français.

Faiblesses : son protestantisme le rend inacceptable à une grande partie du royaume ; il est présenté comme un agent des puissances étrangères.

Comment Henri de Navarre a-t-il consolidé son pouvoir ?

Par la guerre (Ivry, 1590), puis par le pragmatisme : conversion en 1593, sacre en 1594, puis l’édit de Nantes (1598) qui scelle une paix durable et lui permet d’être reconnu comme roi de tous.

Quelles sont les causes principales des Guerres de Religion ?
  • Religieuse : diffusion du calvinisme.
  • Politique : rivalités aristocratiques instrumentalisant la foi.
  • Sociale : tensions économiques, violences rurales.
  • Dynastique : régences, rois mineurs, vide d’autorité.
  • Internationale : Espagne vs Angleterre à travers les factions françaises.
Quel rôle a joué l’Édit de Nantes ?

L’Édit de Nantes est moins un traité de paix qu’un acte souverain. Il organise la coexistence religieuse, encadre les violences, accorde des droits limités et restaure l’autorité royale.

VIDEO

Cette vidéo est une lecture de la « Chronique des guerres de religion » tirée du jeu de rôle historique Te Deum pour un Massacre, qui mêle roman, pédagogie et immersion dans la France des guerres de Religion. Elle restitue avec fidélité la séquence des États de Blois et de l’assassinat du duc de Guise, mais en adoptant les codes du récit romanesque plutôt que ceux d’un article académique. Elle vous offre une excellente mise en situation narrative, sensible aux acteurs et aux tensions religieuses, sur laquelle s’appuie le présent article pour proposer une interprétation plus conceptuelle de la souveraineté et de l’État moderne.

  • « Les Guerres de Religion »Arlette Jouanna Cet ouvrage fournit un contexte détaillé sur les tensions entre catholiques et protestants, ainsi que sur le rôle des grandes figures comme Henri III, Henri de Guise et Henri de Navarre.
  • « Henri III : le roi décrié »Nicolas Le Roux L’auteur explore la personnalité complexe d’Henri III, souvent mal compris dans l’historiographie. Il déconstruit les clichés pour présenter un portrait nuancé du dernier roi Valois. Une référence.
  • « Henri IV, roi de cœur et de raison »Jean-Pierre Babelon Ce livre se concentre sur la transition vers la dynastie des Bourbons, en mettant en avant la figure d’Henri IV. Il est particulièrement utile pour comprendre comment ce roi a pacifié un royaume fracturé après les Guerres de Religion.

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