Veille Citoyenne : Alerte N°6 : Souveraineté industrielle - cession de Vencorex
Mise à jour du 25 juillet 2025
Fiche d’Analyse – Alerte N°8 : Contournement de la loi anti-fraude « CumCum »
Mise à jour du 23 juillet 2025
Décision clé
Date de la décision : 17 avril 2025
L’affaire révèle un détournement spectaculaire de la volonté parlementaire. Éric Lombard, ministre de l’Économie, a publié dans le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) un rescrit fiscal qui vide de sa substance la disposition anti-« CumCum » votée à l’unanimité par le Parlement dans la loi de finances 2025. Bien que les parlementaires aient expressément rejeté toute exception lors des débats, cette instruction administrative introduit des exceptions massives permettant aux banques d’échapper à l’application de la loi sur les marchés réglementés – là où précisément se concentre désormais l’essentiel de la fraude.
Le mécanisme frauduleux expliqué : Les montages « CumCum » permettent à des investisseurs étrangers d’échapper à l’impôt sur les dividendes (entre 15 % et 30 % selon les conventions fiscales) en prêtant temporairement leurs actions à une banque française juste avant le versement. La banque, exonérée d’impôt, encaisse les dividendes puis reverse une partie à l’investisseur après prélèvement de sa commission (généralement comprise entre 2 % et 5 % du montant du dividende). Une fraude gagnant-gagnant, comme son nom latin l’indique.
Ministères impliqués
- Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle : Éric Lombard
- Ancien directeur général de la Caisse des dépôts (2017-2024)
- Ex-dirigeant de BNP Paribas Cardif et Generali France
- Patrimoine déclaré : 21 millions d’euros
- Se définit comme « quelqu’un qui n’aime pas l’impôt »
- Direction générale des finances publiques : impliquée dans la rédaction du rescrit malgré ses propres réticences internes
Enjeux stratégiques
- Détournement démocratique : Pour la première fois depuis des décennies, un ministre utilise son pouvoir réglementaire pour neutraliser une loi votée à l’unanimité des deux chambres. Ce précédent questionne l’équilibre des pouvoirs.
- Enjeu budgétaire colossal : La fraude « CumCum » représente un manque à gagner estimé entre 1,5 et 2 milliards d’euros annuels selon le Sénat, 33 milliards sur la période 2000-2020 selon l’université de Mannheim. Les banques, elles, empochent tranquillement entre 150 et 500 millions d’euros de commissions chaque année sur cette fraude – soit potentiellement 8,25 milliards d’euros de profits illégitimes sur vingt ans. Dans un contexte de crise budgétaire où 44 milliards d’économies sont exigés des Français, laisser filer ces milliards constitue un scandale d’État.
- Compétitivité versus équité : Lombard brandit l’épouvantail de la fuite des capitaux vers Londres pour justifier sa complaisance. Mais privilégier l’attractivité financière au détriment de la justice fiscale révèle un choix politique assumé.
- Précédent systémique : Cette affaire illustre la capacité du lobby bancaire à faire plier l’État. Quand les banques dictent la loi, qui protège l’intérêt général ?
Analyse de la légalité
- Conformité formelle apparente : Techniquement légal – le ministre dispose du pouvoir d’édicter des instructions d’application. Mais cette conformité de surface masque une violation profonde de l’esprit démocratique.
- Violation manifeste de l’intention législative : Juridiquement contestable car contraire à l’intention unanime du législateur. La loi de finances 2025 visait explicitement à fermer les failles exploitées par les banques. Le rescrit ministériel rouvre précisément ces mêmes failles. Quand l’exécutif sabote ce que le législatif a construit, que reste-t-il de la séparation des pouvoirs ?
- Détournement de procédure aggravé : Lombard invoque un avis du Conseil d’État du 27 janvier 2025, mais cet avis portait sur un projet de loi, non sur le texte définitivement adopté par le Parlement en février. Utiliser un avis préalable pour justifier la neutralisation d’une loi votée constitue un détournement procédural caractérisé.
- Contradiction avec les alertes internes : Les notes internes de Bercy datées du 20 mars 2025 alertaient explicitement le ministre sur le « risque polémique sévère » d’une telle interprétation et rappelaient que « les arbitrages sur dividendes se sont largement déplacés sur les marchés réglementés » – exactement là où le rescrit crée ses exceptions. Passer outre ses propres services révèle une décision politique assumée.
- Abus de pouvoir réglementaire : Le principe hiérarchique des normes impose que le règlement applique la loi, non qu’il la contredise. En vidant la loi de sa substance par voie réglementaire, le ministre outrepasse ses prérogatives constitutionnelles. Cette pratique, si elle se généralisait, réduirait le Parlement à une chambre d’enregistrement.
Principaux bénéficiaires
- Le secteur bancaire français : BNP Paribas, Société Générale, Natixis, HSBC, Crédit Agricole – tous impliqués dans les enquêtes du Parquet national financier.
- La Fédération bancaire française (FBF) : Véritable chef d’orchestre de l’opération de lobbying. Représente 340 établissements bancaires et mène depuis 2018 une guerre d’usure contre toute réglementation anti-« CumCum ».
- Les investisseurs non-résidents : Principaux organisateurs des montages frauduleux, ils continuent d’échapper massivement à l’impôt grâce à la complaisance ministérielle.
Absence de contreparties identifiées
- Aucune contrepartie exigée : Contrairement aux pratiques habituelles, aucun engagement de transparence, de coopération fiscale ou d’investissement n’a été demandé en échange de cette mansuétude.
- Pas d’objectifs chiffrés : Aucun critère mesurable de réduction progressive de la fraude n’accompagne cette « flexibilité » réglementaire.
- Absence de garanties : Aucun mécanisme de surveillance ou de révision périodique n’encadre cette exception de complaisance.
Risques identifiés
- Encouragement à la fraude : En légalisant de facto les pratiques frauduleuses sur les marchés réglementés, le rescrit ministériel transforme l’État en complice de l’évasion fiscale.
- Inégalité devant l’impôt : Pendant que les citoyens ordinaires subissent hausses d’impôts et réduction des services publics, les plus fortunés continuent d’échapper à leurs obligations fiscales avec la bénédiction de l’État.
- Discrédit démocratique : Cette affaire nourrit le sentiment que les lois ne s’appliquent pas aux puissants. Quand Bercy se soumet aux banques, que reste-t-il de la souveraineté parlementaire ?
- Précédent dangereux : D’autres secteurs pourraient revendiquer le même traitement de faveur, généralisant le contournement réglementaire des lois.
Facteurs d’influence
- Lobbying bancaire intensif : La FBF a mené une campagne de pression systématique depuis 2018. Elle a obtenu l’abandon d’un premier dispositif en 2018, saisi le Conseil d’État en 2023, et directement sollicité Bercy en février 2025 pour obtenir les exceptions actuelles.
- Revolving door : Éric Lombard, issu du secteur bancaire (BNP Paribas), entretient des liens naturels avec ses anciens pairs. Son parcours professionnel explique en partie sa sensibilité aux arguments du secteur.
- Pressions économiques : L’argument de la « compétitivité de la place de Paris » masque mal la soumission aux intérêts privés. Les banques agitent systématiquement la menace de délocalisation pour obtenir gain de cause.
- Opacité décisionnelle révélatrice : Aucune consultation publique n’a précédé cette décision majeure. Le Parlement a été tenu à l’écart d’un choix qui annule son travail législatif. Sans le contrôle scrupuleux mené par Jean-François Husson le 19 juin 2025 à Bercy, cette manipulation démocratique serait passée totalement inaperçue. L’opinion publique n’aurait jamais su que des milliards d’euros continuaient de s’évaporer dans les coffres-forts bancaires avec la bénédiction ministérielle.
Réactions clés
Classe politique :
- Jean-François Husson (LR, rapporteur général du Budget au Sénat) : « Le résultat de mon contrôle est absolument effarant ». Dénonce une « délinquance en col blanc » et exige le retrait pur et simple du rescrit. Évalue le manque à gagner annuel entre 1,5 et 2 milliards d’euros.
- Éric Coquerel (LFI, président de la Commission des finances de l’Assemblée) : « Bercy n’a pas adopté la loi votée mais la loi telle qu’il voulait l’amender ».
- Claude Raynal (PS, président de la Commission des finances du Sénat) : S’oppose frontalement aux exceptions ministérielles via deux courriers officiels.
Médias et experts :
- L’Opinion : Révèle les détails de l’affaire et les tensions internes à Bercy
- Public Sénat : Couvre extensivement les contrôles parlementaires et révèle les documents internes
- L’Humanité : Dénonce une « rupture du contrat démocratique »
- Le Monde : Enquêtes approfondies sur les mécanismes de lobbying
Secteur bancaire :
- La FBF assume son rôle d’influence tout en niant toute tentative de corruption du processus législatif.
- Les redressements fiscaux en cours atteignent désormais plus de 4,5 milliards d’euros selon les derniers chiffres communiqués au Sénat.
- 5 grandes banques perquisitionnées en 2023 : BNP Paribas, Société Générale, Natixis, HSBC et Exane.
Recommandations de vigilance citoyenne
- Suivi parlementaire :
- Interpeller vos députés et sénateurs sur cette affaire lors des permanences.
- Demander des comptes via les questions écrites parlementaires.
- Suivre les travaux de la commission des finances du Sénat (senat.fr).
- Contrôle gouvernemental :
- Exiger la transparence sur les échanges entre Bercy et la FBF.
- Demander la publication intégrale des notes internes révélées par Jean-François Husson.
- Surveiller les futures nominations de hauts fonctionnaires issus du secteur bancaire ou inversement (J’ai déjà noté la désignation en juillet 2025 de l’ancien secrétaire général de l’Élysée depuis 2017, Alexis Kohler, au poste de DG adjoint de la Société Générale).
- Mobilisation citoyenne :
- Saisir le Défenseur des droits sur la rupture d’égalité devant l’impôt.
- Interpeller les associations anticorruption (Anticor, Transparency International France).
- Relayer l’information sur les réseaux sociaux avec #ScandaleCumCum.
- Veille juridique :
- Suivre les éventuels recours devant le Conseil d’État contre le rescrit ministériel.
- Surveiller les développements de l’enquête du Parquet national financier.
Sources de référence
- senat.fr / Commission des finances du Sénat
- assemblee-nationale.fr / Commission des finances de l’Assemblée
- performance-publique.budget.gouv.fr / Documents budgétaires officiels
- conseil-etat.fr / Avis et décisions du Conseil d’État
- justice.gouv.fr / Parquet national financier
- lesechos.fr, lopinion.fr, publicsenat.fr / Presse spécialisée
- transparency-france.org / Observatoire de l’éthique publique
- contexte.com / Analyse des politiques publiques
Cette affaire révèle les limites de notre démocratie face à la puissance du lobby financier. Quand un ministre peut impunément annuler une loi votée à l’unanimité, c’est la souveraineté parlementaire qui vacille. Dans une République, les lois s’appliquent à tous – ou elles ne valent rien.
</dAprès plusieurs semaines de bras de fer institutionnel et sous la pression conjointe du Sénat et de l’Assemblée, Éric Lombard a annoncé officiellement, le 24 juillet 2025, le retrait du texte polémique.
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